Il est des romans qui excitent votre curiosité par une couverture tape à l'œil ou un titre titillant notre fibre de conjecturopathe insatiable. Vous achetez le livre, aussitôt déposé sur la fameuse pile des ouvrages en souffrance vous l'oubliez (ou presque) et puis un jour (parfois des semaines) son tour arrive. Vous le lisez avec plus ou moins un grand appétit et là c'est le choc...vous regrettez amèrement de ne pas l'avoir lu plus tôt.
Ce fut le cas pour l'ouvrage de Jean-Pierre Naugrette « Les hommes de cire » dont le titre renfermait mes plus folles espérances, confirmées par un article ou deux que j'avais aperçu et relatant certains faits de Sherlock Holmes opposé à son nouvel ennemi le Dr Hyde et d'une sombre conspiration menaçant l'empire Britannique. Comme parfois je fais tout dans le désordre, je commence par cet ouvrage, laissant la lecture de « Le crime Dr Mr Hyde » pour plus tard (du même auteur et qui est en quelque sorte le début de l'affrontement entre ses deux figures légendaires).
L'ouvrage est tout simplement époustouflant et je dois avouer avoir ressenti le même plaisir de lecture lorsque je me suis abandonné à un autre texte tout aussi remarquable : « À propos d'un Thug » de Tabish Khair. Une richesse d'écriture similaire, un contexte géographique identique (Londres et les Indes) un sens de l'aventure et du récit tout à fait remarquable.
Sherlock Holmes et son fidèle Watson se lancent à la poursuite du Dr Hyde, sinistre personnage qui dans son rêve de conquête et de vengeance flirte avec la science et les légendes Indous, pour créer une armée de primates. En se frottant avec la légende du « Golem », donnant une dimension fantastique au récit, l'auteur nous plonge dans une intrigue passionnante et jubilatoire où ce trio va devoir s'affronter sans relâche entre les brumes de Londres et de Pûri en Inde à la rencontre des adorateurs de Jagannâtha et se perdre dans le dédale du redoutable « Labyrinthe de Babel » dont les méandres conduiront notre fin limier aux portes du monde à la découverte d'une cité cyclopéenne abandonnée. Jouant avec habileté sur le jeu du double en introduisant un jumeau de Holmes fort inattendu (je vous laisse le plaisir de la découverte), Jean-Pierre Naugrette brouille les pistes jusqu'à « l'affrontement » final où les apparences plus que trompeuses déroutent le lecteur afin de mieux le placer au pied du mur et le faire douter de ses certitudes.
Le récit est haletant, envoûtant et d'une écriture si bien ciselée et orchestrée que la lecture de certains chapitres devient tout simplement époustouflante, comme celui de « L'aventure du Cormoran » où nous assistions au cheminement du cadavre de Hyde dans les eaux noires et mystérieuses de la Tamise, sous le regard affûté et gourmand d'un cormoran...mais est-il vraiment mort ?
Roman mystique, fantastique, policier et d'aventure, jouant habilement avec les codes du genre, l'auteur exprime ainsi tout son talent dans une aventure qui n'en finit pas de nous étonner tant par sa richesse thématique que par la qualité de son écriture. Un auteur, grand spécialiste de Stevenson, dont il a traduit plusieurs romans et qui connaît bien ses classiques, comme en témoigne le chapitre intitulé « Le Log-Book du capitaine Thorensen. Un hommage au Dracula de Bran Stoker décrivant la traversée du navire transportant le sinistre personnage et dont l'équipage va peu à peu disparaître, les tuant tous jusqu'au dernier et transformer le bateau en vaisseau fantôme. Même tension, dans le rapport au jour le jour du capitaine de l'Erébus », probable allusion à cette divinité infernale née du chaos « Erébe » même angoisse face à ce « mal » mystérieux, sauf que cette fois l'équipage se retrouvera « éliminé » d'une bien singulière façon.
Des références dans « Les hommes de cire » il y en a bien d'autres, preuve de l'attachement de l'auteur pour les littératures de l'imaginaire et il est évident, à la lecture d'un tel tour de force, que le genre fait preuve d'une grande vigueur et que notre pays cultive ainsi une tradition pour cette littérature qui n'est pas prête de disparaître.
Un grand coup de cœur dont je vous recommande la lecture et je me dois ici de féliciter la clairvoyance et le bon goût habituel du « Visage vert » de nous avoir proposé une réédition de cet ouvrage incontournable pour tout amateur qui se respecte.