La littérature contemporaine de l'imaginaire est encore, pour le lecteur que je suis, pleine de surprises et d'agréables découvertes. Acheter le livre d'un auteur que nous avons l'habitude de lire est déjà un acte fort plaisant, mais lorsqu'il possède la particularité de se dévoiler dans un magnifique écrin et dont le contenu correspond à vos attentes du moment, alors l'état de bien-être dans lequel nous allons passer les prochaines heures de cette agréable lecture, ne peut que nous placer dans un espèce de félicité que seuls les inconditionnels peuvent comprendre et partager. « Feuillets de cuivres » à ma grande surprise n'est pas à véritablement parler un roman, enfin presque.....Il s'agit de ce terme que je ne connaissais pas et qu'il nous faut une fois de plus emprunter à nos voisins anglais : Fix-up ! À savoir, un roman constitué de plusieurs nouvelles réunies en un seul ouvrage pour former une histoire cohérente. Chaque feuillet est un carnet qui débute en 1872 pour se clôturer en 1912, sorte de journal intime d'un inspecteur de police qui dans un Paris alternatif va traquer le mal sous toutes ses formes et parvenir, grâce à une érudition littéraire pratiquement sans faille, résoudre la majorité de ses enquêtes. En ce qui me concerne, je voudrais ici enlever toute ambiguïté quant à la catégorie où l'on voudrait caser cet incroyable roman. Beaucoup évoqueront le steampunk et même si je dois avouer relever quelques traces d'un univers « alternatif » dont le cours de l'histoire aurait été modifié par une nouvelle source d'énergie, en l’occurrence dans le roman de Fabien « L'éther », rien ne laisse présager d'une modification patente de la société dans laquelle évoluent les personnages. Cette technologie n'est qu'un détail dans l'univers du personnage et permettant à l'auteur de résoudre quelques énigmes, mais sans pour autant s'attarder sur les répercussions qu'elle pourrait entraîner sur son environnement. Elle n'est ici que le prétexte pour jouer habilement avec plusieurs thématiques et offrir au lecteur, des livres dans un livre où l'on ne parle pratiquement que d'auteurs et de bibliothèques.
Le tour de force, est d'avoir réussi la gageure d'écrire un ensemble de nouvelles avec un fil conducteur, le livre donc , et d’être parvenu, l'espace de 330 pages à côtoyer tous les genres. Qu'il s'agisse du polar en passant par le roman à énigme, le roman fantastique, ésotérique, de science-fiction, politique et romans de mœurs, en évoquant les grands noms de la littérature classique tels que Victor Hugo, Maupassant, Rabelais, Baudelaire, Rimbaud ou de la littérature plus populaire comme Jules Verne, Eugene Sue ou les contes de Perrault, tout ici est mené de main de maître avec un sens du suspens tout à fait remarquable. Mais l'auteur, comme pour divertir encore plus avec le lecteur, va accroître son champ d'investigation et évoquer l'art sous toutes ses formes avec la peinture, Hokusai et Van Gog, la musique et l'opéra de Bizet.....personnages fictifs se mêlant à ceux bien réels. Dans ce volume kaléidoscopique, tout fait ventre et dans un maelström époustouflant, il plonge son héros, Ragon, au cœur d'une succession d’enquêtes se déroulant dans un Paris sordide et fascinant où la décadence flirte avec cet « assassinat considéré comme un des beaux-arts » et tirant plus de l’œuvre de Ponson du Terrail ou d'Eugène Sue, que d'un univers purement Steampunk et de fait parfaitement codifié.
Notre inspecteur est un minutieux, qui cherche bien souvent la solution dans la bibliothèque des victimes, une sorte de boulimique du papier qui, au fils de ses enquêtes et du temps qui passe, va atteindre une masse corporelle disproportionnée, comme gavée à satiété de cette littérature qu'il ne peut se refréner de consommer sans modération. Mais l'on sent que l'auteur utilise cette métaphore à dessein pour accentuer encore plus le terrible destin vers lequel tend son érudit héros : il y a des nourritures bien plus mortelles et addictives que celles proposées par les meilleures tables ! Toute sa vie s'articule sur les crimes renfermant une part de mystères, que l'on qualifierait d'impossibles, rejoignant en cela une autre catégorie où il nous faudra également ranger le livre, celui des détectives de l'impossible. L'homme va même se payer le luxe de résoudre un meurtre sans jamais sortir de la chambre de la victime, probablement l'un de ses enquêtes la plus extraordinaire. Au final, le quidam sous un aspect visiblement repoussant, génère une sorte de respect et de fascination pour les bibliophiles que nous sommes.
Jamais je n'avais lu de livre aussi brillant, probablement le plus abouti de l'auteur, où il confronte le lecteur avec une telle diversité de thématiques et de créatures maléfiques.Entendez par là hommes crapuleux, vengeurs redoutables, savants-fous, génie du crime....car notre illustre policier devra affronter un homme à l'intelligence prodigieuse,l'anagnoste, capable des pires machinations, des meurtres les plus abominables dans des mises en scènes où inventions et esprits retors forcent notre admiration. L'occasion lors de cette mémorable rencontre, de retourner sur les origines de Ragon et de plonger définitivement le roman dans le fantastique le plus pur. D'ailleurs ces toutes dernières enquêtes sont de loin les plus terribles et pour nous les plus délectables et le carnet 1903 « Décevantes magies du clair-obscur » est en cela en tout point remarquable !
Tout dans cette œuvre respire l'intelligence et le résultat d'un ouvrage longuement réfléchi et rédigé avec brio et un sens aigu du roman à feuilleton : on prend, on ne lâche plus ! Bien souvent ma défaillance de certaines lectures d'auteurs classiques sera mise à l'épreuve et à lire ce magnifique exercice de style unique en son genre, on ne peut être qu'admiratif face à l'érudition de l'auteur, et d'avoir si habilement joué avec certains codes de la littérature en nous offrant un ouvrage aussi palpitant.
Tous les amateurs des littératures de l'imaginaire, trouveront ici de quoi rassasier leur curiosité intellectuelle, mais qu'il soit de papier, de chair ou d’éther, le livre est ici la réponse à toutes vos questions, mais également source de toutes vos interrogations. Un ouvrage brillant comme on en rencontre peu dans nos domaines et qui devrait enchanter bien des amateurs en quêtes de nouvelles sensations littéraires. Si tout ce qui brille n'est pas d'or, ici par contre, le cuivre qui se veut le métal le plus conducteur qui soit et que l'on retrouvera toujours cité à une moment ou un autre, revêt certes l'apparence de ce trésor tant convoité, mais plus encore....... de cette précieuse patine du temps que rien ne pourra altérer et qui ne pourra que se bonifier,

Rajoutez à cela une excellente préface du spécialiste du genre notre ami Étienne Barillier et une érudite préface de de Isabelle Perier, et vous aurez entre les mains un ouvrage indispensable

« Feuillets de Cuivre » de Fabien Clavel Éditions Actusf 2015