« Curios » de Richard Marsh. Recueil de nouvelles traduit par Jean –Daniel Brèque. Editions Rivière Blanche, collection « Baskerville » N°4. Couverture de Aurélien Hubert.
Vous avez dit bizarre...?
Les gens sont-ils vraiment curieux ? Voilà une question que je me suis souvent posée. Curieux, curiosité, Curios: une faculté qui pousse l'individu à apprendre, à voir, à connaître, à s'intéresser au monde qui l'entoure. Elle peut toucher différents domaines et n'a pas de cadre restrictif. Elle englobe un vaste éventail de possibilités. Mais la curiosité peut-être pathologique et bien souvent à trop vouloir ce que l'on ne peut pas atteindre, une histoire des plus banale peut se transforme en tragédie.
Avec le roman de Richard Marsh « Curios » il se passe un drôle de mécanisme, la mise en marche d'un processus complexe que seul pourra comprendre l'individu le plus étrange et incompréhensible qui soit : Le collectionneur !
J'ai rencontré pour la première fois Richard Marsh au détour de cette collection mythique, probablement la plus intéressante des années 80, les « Nouvelles éditions Oswald ». Je me rappelle de la mise en appétit faite par la préface de Richard D.Nolane et m'être plongé sans retenues dans cette sombre histoire de malédiction égyptienne, traduite à l'époque par un certain Jean-Daniel Brèque. J'avais pris beaucoup de plaisir avec le style de l'auteur et cette soudaine boulimie que je semblais éprouver pour cet illustre inconnu à l'époque ne put être rassasiée en raison du manque évident d'intérêt que semblait lui porter la majorité des éditeurs. L'attente fut longue et c'est avec un immense plaisir que j'ai découvert ce « Curios » dans la collection Baskerville.
Après avoir acquis ce magnifique ouvrage, rétroactivement en y réfléchissant bien, je me suis retrouvé dans la peau de l'amateur d'objets introuvables qui vient de découvrir une rareté et compte bien la garder jalousement pour lui. La couverture en elle même est une sacrée réussite, originale et atypique, l'objet en premier plan semble vous regarder et vous pénétrer au plus profond de votre fibre de lecteur en vous disant : « Achète moi ! » : L'ouvrage serait-il donc possédé pour qu'il me fasse une telle impression ?
Une belle couverture est à mon à mon avis déterminante pour l'achat d'un livre et de ce coté, nul doute que l'artiste est parvenu à accrocher le chaland.
Mais la beauté de l'illustration ne faisant pas la qualité du texte qu'il abrite, inutile de vous dire que je me suis précipité avec un grand plaisir dans ce « Curios » aux promesses tant attendues.
La préface de Jean-Daniel Brèque est des plus érudite et passionnante, une constante chez cet anthologiste, nous faisant ainsi revivre les étapes déterminantes de ce singulier personnage pour qui l'écriture fut vraiment une raison d'être. Je ne vais pas vous faire un résumé de sa vie, il vous suffira de la découvrir par vous même, mais il est absolument incroyable qu'un auteur si prolifique, occupe une aussi petite place dans le catalogue des éditeurs. Une injustice fort heureusement provisoire, que la collection « Baskerville » semble vouloir réparer au plus vite.
Une fois passée cette introduction, nous voici donc dans le vif du sujet et pour vous situer de la façon la plus explicite qui soit le ton du roman et de ses deux personnages principaux, je crois qu'il n'y a pas meilleure façon que de paraphraser l'auteur:
- « Tress, j'ai l'intime conviction que vous étés un fieffé voleur.
- Mon cher Pugh, il me semble évident que vous en êtes un autres »
Voici pour la première tirade. Quand à la seconde elle est tout aussi savoureuse :
- « C'est homme est si menteur qu'il soupçonne systématiquement son semblable de partager ce défaut avec lui. »
Un dialogue du tac au tac qui résume bien les caractéristiques de ces deux collectionneurs invétérés, qui seraient prêts à tuer père et mère afin d'obtenir l'objet de leur convoitise. Car voyez vous dans ce délicieux petit écrin qu'est « Curios », l'auteur nous dépeint avec ironie et lucidité, l'univers douillet, ouaté mais ô combien cruel et impitoyable des cabinets de curiosités. Un univers où les règles n'existent plus, où l'amitié prend un tour assez particulier et faisant fi de la sacro sainte notion d'honneur et du respect d'autrui : Tous les coups sont permis !
C'est un très curieux tableau de la relation si particulière que l'amateur de choses rares peut entretenir avec l'objet de son obsession. Je dirais une relation quasi fusionnelle, qui le rend aveugle, coupant par la même son sens des réalités, le privant de tout jugement et de toute morale.
Il nous suffit de lire par exemple la nouvelle « Le cabinet » pour s'en convaincre. Nos deux concurrents vont déployer des trésors de fourberies et de mesquineries pour s'octroyer un magnifique secrétaire réalisé par André-Charles Boulle. Nous assistons alors à une véritable joute de perfidies entre les deux candidats avec un final des plus coquasse. Dans les différentes nouvelles qui parsèment cet ouvrage la fourberie et la tromperie sont de mises et si les deux lascars sont voisins et « amis » il m'empêche que toutes les occasions sont prétextes afin de ridiculiser et de prouver que son rival est un bien piètre collectionneur.
A croire, à la lecture de cet univers si particulier, que Richard Marsh a lui même côtoyé ce milieu où le célèbre adage « La fin justifie les moyens » est une constante incontournable.
Ecrit dans un style propre à cette fin de siècle où les bons usages proscrivaient toute utilisation d'un langage vulgaire et déplacé, il n'empêche toutefois pas l'utilisation d'une rhétorique bien sentie qui nous procure un plaisir coupable tout en nous décontractant les zygomatiques de façon jubilatoire.
Nous assistons alors à de véritables affrontements verbaux et nos deux adversaires, les yeux obnubilés et le cœur envahi par une immense convoitise, utiliseront toutes les perfidies possibles pour faire sombrer dans le ridicule leur misérable adversaire dont le seul tort sera de ne pas avoir été aussi vicieux que son malheureux concurrent.
Saluons au passage le travail de traduction de Jean-Daniel Bréque qui a effectué un superbe boulot en nous retranscrivant de la manière la plus juste qui soi toute la finesse et la subtilité de langage d'une époque aux relents délicieusement surannés.
Dans cet ouvrage, toute la saveur réside dans les relations des nombreux protagonistes qui le peuple et de leurs « prises de bec » successives. D'ailleurs le plus incroyable c'est que chacun semble y trouver son parti et loin de capituler et de passer à un autre registre, ils agissent comme sous l'influence d'un mystérieux magnétisme et ne peuvent s'empêcher de se lancer des défis. Finalement la raison d'être de l'un, ne peut se faire sans l'existence de l'autre et tout concourt à nous faire admettre qu'ils se comportent comme un véritable couple éprouvant du mal à vivre séparé.
Les personnages qui gravitent dans cette sphère « d'initiés », possèdent à des degrés différents les mêmes travers, ils sont tous de la même trempe et qu'il soit le valet de l'un où de l'autre, où appartenant à cette fameuse « société de dilettantes » les coups fusent : on se congratule brièvement et on n'hésite pas à se porter de fameuses estocades dont le but ne sera que de vous laisser sur le carreau, le souffle court. La nouvelle « L'œuf du grand pingouin » qui est un sommet de ce que la bêtise d'un collectionneur cupide peut générer, est un parfait exemple des relations pouvant exister entre « gens du monde ». On se regarde, on s'épie, on se suspecte et on se jalouse. Fort heureusement il y a une certaine morale à ses histoires et l'auteur n'aura de cesse de reprendre cet autre bon vieil adage « Bien mal acquis ne profite jamais ».
Toutes les nouvelles racontées, soit par l'un ou l'autre des protagonistes Pugh et Tress, gravitent sur l'acquisition d'un objet rare ou de grande valeur, et toutes possèdent des qualités intrinsèques. Sur les huit nouvelles du volume, deux seulement appartiennent à une veine plus fantastique, « La pipe » ou l'histoire d'une curieuse créature « habitant » cet objet d'apparence banale et « La main de Lady Wishaw », thématique classique de la main vivante, déjà rencontrée dans plusieurs nouvelles mais traitée ici avec une excellente ambiance surnaturelle. « Le phonographe » et l'esprit qui l'habite est tout aussi savoureuse, « L'icône » est dans un registre plus classique quoi que admirablement bien traité, « Le casse tête » s'articule sur le thème de la curiosité et de l'appât du gain poussé à l'extrême et pour finir « la bague » ou l'auteur explore le raffinement du sadisme et de la torture morale et physique jusqu'à l'extrême. Je dois avouer avoir une attirance toute particulière pour « L'œuf du grand pingouin » et de l'histoire de ce monumental coup de « Bluff ». Les histoires donc se lisent avec un plaisir sans cesse renouvelé et il nous faut ainsi remercier le directeur de cette admirable collection de nous avoir fait découvrir ce petit joyau serti dans un écrin de finesse, d'humour et d'originalité.
« Curios » un ouvrage indispensable au lecteur avide d'agréables surprises mais également au collectionneur un peu trop obtus, avare et cupide en espérant que la lecture de ce délicieux ouvrage, lui fasse un peu ouvrir les yeux sur la stupidité de certains de ses agissements.
Le volume se termine par deux appendices forts instructifs et une bibliographie des plus indispensables.
Grand coup de chapeau à Jean-Daniel Brèque, souhaitons que sa collection aura tout le succès qu'elle mérite et si l'on en juge par les prévisions de ses prochaines sorties, nul doute qu'elle comblera de joie tout un lectorat avide de nouveautés originales et inédites.
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