Depuis fort longtemps, les esprits inventifs n'ayant pas le pied marin, préférèrent traverser les immenses océans du globe, les orteils bien au sec et confortablement installés dans un train électrique et à défaut comme dit le poète que « La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme dans le déroulement infini de sa lame », choisir la noirceur d'un tunnel, mais au moins de ne pas souffrir de ces nausées incessantes qui accablent ce brave homo sapiens habitué au bon vieux plancher des vaches. Si les textes évoquant le classique tunnel sous la manche sont légions dans notre littérature, et je vous invite à consulter l'article que je lui avais consacré à la rubrique « En feuilletant les revues :« Le Tunnel Sous La Manche »: de L'anticipation à La Réalité », plus rares sont ceux consacrés à autres permettant de rejoindre l'Europe au continent Africain. Pourtant, cette relative courte distance aurait dû inspirer bien des anticipateurs, mais la récolte sera faible et en dehors de notre éternel Xénophobe de service, le capitaine Danrit qui dans son « Invasion noire » creuse à bras le corps une galerie pour déverser sur l'Europe un marée noire hirsute et sanguinaire ( avec toute la délicatesse que nous lui connaissons) et du roman du Colonel Royet, Ah ! Ces militaires, et de son « Le tunnel de Gibraltar » (Éditions Tallandier :« Grandes aventures,Voyages excentriques » 1933), la moisson sera maigre et par souci de vouloir enrichir une liste une peu famélique, je citerai également « Urfa,l'homme des profondeurs » ( librairie Larousse « Contes et romans pour tous » 1931) où nous serons en présence d'une communication naturelle entre la France et l'Afrique. Voici donc pour notre plus grand plaisir, une longue nouvelle qui va reprendre un peu la trame du colonel Royet, avec cette idée d'une compagnie qui va s'efforcer de relier l'Espagne à l'Algérie, afin de créer une ligne de chemin électrique continue entre l'Angleterre  ( dans la nouvelle de Jean Jaubert c'est déjà une réalité) et la pointe sud du continent Africain. Je vous livre donc cette petite romance scientifique, car dans toute bonne histoire de ce genre il y a aussi une histoire d'amour, inédite et amusante dont cette célèbre revue avait le secret et ce, pour notre plus grand plaisir.

Pour l'heure le projet d'un tunnel sous la méditerranée est toujours d'actualité, ne manque plus que les fonds necessaire afin que l'Europe et l'Afrique puisent enfin réaliser une jonction presque aussi phantasmée que celle sous la manche!

« Le tunnel de Gibraltar » Nouvelle inédite de Jean Jaubert .Paru dans la revue « Je sais tout » N°110 du 15 Mars 1910

 

- Allô? - Allô... M. Glencoë? Allô ?

- Monsieur, j’ai le regret de vous annon­cer que nous ne pouvons pas partir.

- Oui, le convoi ne peut pas partir.

- Pourquoi? mais parce que le tunnel ne présente pas une sécurité suffisante. A chaque passage des trains légers, la voûte semble trembler. Vers le kilomètre 14, il pleut... absolument ! Je vous ai d’ailleurs signalé la situation par écrit dans mes rap­ports confidentiels d’hier et d’avant-hier.

- Mais ce n’est pas du tout-une humi­dité naturelle... tout à l’heure, c’était presque une pluie d’orage. - Monsieur, je sais bien que nous remettons l’inauguration depuis huit jours. Mais il y a force majeure.

- Les bruits qui courent sont regret­tables. Mais enfin on ne peut pas risquer une catastrophe pour les faire cesser!

- Mais si, Monsieur, mais si. Je suis absolument convaincu qu’il y a un danger, un très grand danger...

- Oh! Monsieur, peur !... je passerai! Mais vous êtes prévenu !

Quittant le téléphone, l’ingénieur de la traction à la « Gibraltar Tunnel Railway O », M. James Harward, très jeune, l’air décidé, la physionomie intelligente, venait de rac­crocher brutalement le récepteur.

« Les actions dégringolent en bourse, grommelait-il avec un haussement d’épau­les: alors il faut passer coûte que coûte. Enfin, on verra! »

Et claquant la porte derrière lui, il sortit de sou bureau.

 

C’était à Ceuta, à l’origine du grand tun­nel du Détroit de Gibraltar, à peine achevé. Après le succès du tunnel sous la Manche, le nouveau projet, reliant l’Europe à l’Afrique, avait été accueilli avec enthou­siasme. Avec les chemins de fer transsaha­riens et la grande ligne anglaise du Cap au Caire, une voie ferrée ininterrompue per­mettrait désormais, depuis l’extrémité de l’Angleterre jusqu’au Cap de Bonne-Espé- rance, un voyage continu en terre ferme. Aussi l’entreprise avait-elle été vite montée et commencée : la « Gibraltar Tunnel Railway C° » s’était formée, avait attaqué les travaux et pratiqué le passage sous- marin. Malheureusement les circonstances n’avaient pas été aussi favorables que dans la Manche. Le terrain, perméable et peu stable, se prêtait mal à l’établissement du boyau maçonné. Les plus grandes difficul­tés avaient retardé l’ouverture et lorsque enfin se levait le jour de l’inauguration sensationnelle, les pires .bruits couraient sur la solidité des couches traversées...

Cependant, James Harward se rappro­chait du train électrique qui devait tout à l’heure plonger dans le souterrain. Les abords du convoi, tout pavoisé et enguir­landé, aux couleurs Anglo-espagnoles, étaient encombrés delà foule bruyante des invités.

Car la Compagnie avait voulu environ­ner cette inauguration de tout l’éclat pos­sible, pour répondre aux calomnies insi­dieuses. Formé avec le splendide et lourd matériel de la Compagnie internationale des Grands Express Européens,le « Gibral­tar Tunnel Express» ne se composait que de wagons-restaurants: ou devait employer à luncher la durée du parcours.

En attendant le signal du départ, les in­vités se promenaient, et échangeaient de joyeux propos sur la construction du tun­nel et l’avenir de la Compagnie. L’ingénieur fendait cette foule, reconnu et salué de temps à autre. Ses pensées n'étaient pas gaies; non qu’il craignît pour lui-même : cette idée ne se présentait même pas à son âme courageuse. Mais il hésitait à entraî­ner tout ce monde dans un voyage qu’il appréhendait plein de périls. Et l’incerti­tude même de la situation lui semblait terrible. Alors qu’il doutait, il avait cru devoir avertir son chef, espérant trouver là un homme capable d’examiner et de juger la situation; pourtant, ne le savait-il pas? Depuis le jour où la construction du tunnel avait été terminée, depuis que la galerie avait été livrée aux électriciens pour y installer l’équipement définitif, l’administrateur s’était désintéressé du tra­vail des entrepreneurs; aussi venait-il de répondre par des considérations finan­cières au cri d’alarme poussé par l’ingé­nieur. M. Glencoë était aveuglé par les cours de la Bourse; rien d’autre ne pou­vait exister pour lui.

James atteignait la machine. A voir la robustesse de ce châssis bas, l’éclat des cuivres astiqués et des panneaux luisants, sur lesquels resplendissait le monogramme de la Compagnie, la confiance le reprenait peu à peu. Après tout, ne s’exagérait-il pas l’insécurité de l’ouvrage? Les légers convois d’essais passaient journellement sans inci­dent notable ; peut-être la galerie souter­raine supporterait-elle le fardeau incom­parablement plus lourd du train de luxe. En somme ces wagons eux-mêmes étaient déjà venus d’Europe, un à un, et lente­ment il est vrai ; peut-être les inquiétudes de l’ingénieur étaient-elles chimériques. Cependant l’heure du départ approchait.

Les voyageurs, appelés par le tintement aigrelet d’une sonnette électrique, ga­gnaient les wagons et s’installaient dans les fauteuils confortables. Seuls demeu­raient sur le quai le personnel de l’usine africaine et la colonie européenne de Ceuta.

Le train allait partir lorsque deux dames pressées apparurent :

- Allons Blanche, s’écriait la plus âgée des deux, dépêche-toi, nous allons man­quer le train.

- Oh! maman, répondit l’interpellée, une ravissante jeune fille brune, on nous attendra bien une petite seconde.

Respectueux, le personnel de la Compa­gnie s’empressait; les dames étaient Mme et Miss Glencoë, la femme de l’admi­nistrateur délégué, et sa fille, toutes deux en résidence à Ceuta pendant la dernière quinzaine; elles venaient soudain de se décider, sur les instances de la jeune fille à prendre le train spécial pour aller sur­prendre M. Glencoë; il s’en était fallu de peu, d’ailleurs, que le convoi partît sans elles.

James, cependant, s’étant penché hors de la machine pour attendre le signal du chef de train, aperçut tout à coup les deux élégantes silhouettes. Une angoisse hor­rible lui étreignit la gorge; quoi! Miss Glencoë prenait ce train; mais son père était-il donc fou, d’autoriser une pareille imprudence? ou bien les avertissements de l’ingénieur étaient-ils considérés comme sans valeur?

James n’eut pas le loisir d’approfondir cette question : le coup de corne retentis­sait, et appuyant sur sa manette d’un geste décidé, le wattman la maintenait au der­nier cran; aussitôt, le train démarra.

Quelques centaines de mètres, la voie suivait la falaise, surplombant la mer calme et traîtresse. Puis les voitures penchèrent pour entrer en courbe, et, successivement, tout le train disparut dans la montagne: on était dans le tunnel. La pente commen­çait tout de suite, le wattman pouvait lâcher la manette, qui revenait automatiquement au point zéro ; le train accélérait sa vitesse sous l’effet seul de la pesanteur.

Debout à l’avant, James regardait la voie surgir du noir sous le vif éclat des fanaux électriques. Pendant 30 kilomètres, le tunnel devait se prolonger ainsi, avant d’aboutir à la lumière, dans Algéciras. En haut, et de chaque côté, la grisaille mono­tonie de la voûte cimentée. Par terre, les deux files de rails cherchant à se rejoindre, là-bas, dans l’obscurité. A côté, un peu surélevé, le troisième rail qui apportait aux machines l’électricité motrice, la lumière vive, la vie, avec un seul fil télé­phonique; c'était Tunique lien entre la terre vivante, le soleil et le train enfoui sous l’immensité noire.

Le train en panne

 

James connaissait bien son tunnel. Jus­qu’au dixième kilomètre, tout était à peu près sec, car les terrains traversés étaient imperméables, et les deux larges fossés qui, de part et d’autre de la voie, étaient destinés à l’écoulement des infiltrations, ne conduisaient qu’un insignifiant ruisselet vers le milieu du tunnel, point le plus bas, d’où les eaux, par de nouvelles galeries, devaient se diriger vers les pompes puis­santes situées en terre ferme.

Le train filait régulièrement. Rien d’anor­mal ne pouvait encore se présenter. Obéissant à quelque impulsion inavouée, James quitta la machine et gagna les voitures, l’endroit où se tenaient les voya­geurs, où une voyageuse, surtout, attirait l’ingénieur.

Dans les wagons resplendissants de lumière, le lunch avait commencé. Déjà le champagne coulait à flots. La joie bruyante et un peu factice des inaugu­rations dominait peu à peu le bruit des roues. Affairés,les servants se multipliaient.

Assises à l’écart, les dames Glencoë cau­saient à demi-voix. James passait, avec un salut correct, qu’il s’appliquait à rendre indifférent, lorsque Mme Glencoë lui fit signe :

- Monsieur Harward. Très ému, l’ingénieur s’arrêtait net, tandis qu’il sentait sur lui le regard de Miss Glencoë.

- Madame? - Dans combien de temps arriverons- nous à Algéciras?

- Dans... dans... une demi-heure sans doute. Oui, dans une demi-heure, affirma-t- il avec énergie. M. Glencoë doit vous attendre, sans doute.

- Mais non, il ne sait pas que nous sommes dans le train, interrompit vive­ment la jeune fille. C’est une surprise que nous voulons lui faire.

- Ah!... L’ingénieur se retirait, l’esprit plein d’une vision délicieuse. Avec sa taille élégante, sa brune physionomie éclairée par le plus charmant des sourires, ses beaux yeux mutins et profonds, Miss Blanche Glencoë n’offrait pas du tout le type anglo-saxon, mais, au contraire, l’apparence voluptueuse des races méditerranéennes. Sa mère, en effet, était Italienne.

Mais en même temps que l’enchante­ment, toutes les perplexités, toutes les craintes, plus vives que jamais, repre­naient, obsédaient le jeune homme, tandis qu’il regagnait la loge du mécanicien.

Pourvu que le voyage s’achevât sans en­combre! Quelques heures auparavant, il envisageait le risque au point de vue tech­nique, avec une cei'taine indifférence pro­fessionnelle. Maintenant qu’il savait Miss Glencoë à bord, tout son être se révoltait contre la possibilité de quelque accident. C’est que son cœur était en jeu : James Harward aimait Miss Blanche! Jamais il ne s’en était rendu compte aussi nettement que tout à l’heure, sur 1e quai, à l’émotion profonde que lui avait inspirée l’apparition de la jeune fille.

Dès le premier jour qu’il l’avait aperçue, il avait ressenti une vive impression. Mais il se croyait seulement touché en artiste par la beauté tendre, par le regard velouté de Miss Glencoë. Il avait cru pouvoir l’ad­mirer respectueusement, et peu à peu, il s’était pris sans le vouloir. Son cœur bat­tait plus vite lorsqu’il la voyait. En tout temps, la chère silhouette occupait sa pensée encore inconsciente. Et maintenant qu’il se découvrait ces sentiments, il semblait, était-ce un fol espoir, avoir rencontré chez la jeune fille une sympathie correspondante. Interrogeant sa mémoire il croyait découvrir des indices favorables i ses vœux. Que pourrait être l’avenir?

Un geste du wattman tira le jeune homme de cette douce rêverie.

La pente, maintenant, était presque in­sensible. Le niveau sous-marin était atteint, et sous l’impulsion des moteurs le train progressait d’une allure souple et régu­lière. Dans la paroi du tunnel, dans une sorte de guérite, l’ingénieur entrevit un instant l’un des interrupteurs de section­nement, qui, de loin en loin, permettaient de séparer les sections du troisième rail et d’isoler ainsi des usines une fraction avariée, si le besoin s'en faisait sentir.

La sonnerie du téléphone troubla le grondement sourd de la machine. Le fil de ligne était installé le long de la voie, au- dessus du train, et un petit frotteur spécial maintenait continuellement le contact avec les appareils de l'automotrice.

- Allô...

- Oui, monsieur, tout va bien.

- Je souhaite que vous ayez raison jus­qu’au bout, Monsieur!

- Les voyageurs sont gais, Monsieur. Sur ce point, vous pouvez compter sur ma discrétion.

- C’est bien. Merci.

James raccrocha le récepteur, et de nou­veau inspecta la voie. Déjà, les murs n’étaient plus secs; une certaine humidité filtrait peu à peu. Plusieurs interrupteurs de sectionnement avaient été franchis. On allait atteindre le fond. C’était là que s’amorçaient les deux galeries profondes qui, toujours descendantes, devaient ame­ner jusque sous la terre ferme les eaux d’infiltration. Aux usines, élevées à chaque bout, de puissantes pompes, par de véri­tables puits de mine, absorbaient ces eaux et les rejetaient à la surface.

Mais à mesure que le train s’approchait du milieu, les infiltrations augmentaient. Comme l’avait signalé l’ingénieur, une vé­ritable pluie ruisselait sur les parois, ou même, se détachant de la voûte, inondait le ballast. Sous le passage du lourd convoi, le tunnel tout entier vibrait d’une étrange façon. Le grondement des roues en était renforcé sourdement. On comprenait les appréhensions de l’homme responsable : cet état anormal n’était-il pas le signe précurseur de quelque catastrophe?

James s’interrogeait, suivant anxieuse­ment la fuite des kilomètres. Cependant, l’inclinaison de la voie changeait. Le point critique était franchi. Désormais la rive européenne serait rapidement atteinte, James pouvait respirer. La pluie cessait, l’humidité diminuait. Tout péril semblait écarté. Et l’ingénieur, ravi, se reprochait déjà ses vaines alarmes, penaud, presque, d’avoir pu paraître si inquiet. « All right I Tout allait bien ! »

Lorsque soudain, l’éclat des lampes élec­triques s’atténue, baisse, fuit, tandis que se calme le ronflement des moteurs, que se ralentit le mouvement du train. Dans l’obscurité opaque, encore soulignée par la faible clarté des lampes de secours qu’on allume, à 200 mètres au-dessous du niveau de la mer, à 12 kilomètres de l’orifice du tunnel, le « Gibraltar Tunnel Express » s’arrête, en panne !

A l’usine d’Algéciras, l’ingénieur méca­nicien suivait d’un œil curieux, sur l’ampé- remètre de la station, la fuite de l’électri­cité absorbée par le train. Un contremaître s’approcha :

- Qu’y a-t-il, interrogea l’ingénieur?

- Monsieur, le débit des pompes a aug­menté beaucoup, depuis ce matin. A l’ins­tant même, il va falloir les mettre à toute allure.

- Nous allons voir !

Les deux hommes se dirigèrent vers le puits. Un indicateur spécial enregistrait le niveau de l’eau au fond. A cet instant, celui-ci n’était qu’à 215 mètres au-dessous du niveau de la mer.

- A peine quinze mètres au-dessous du fond du tunnel, remarqua l’ingénieur. Il faut épuiser cela. A toute vitesse .

Le moteur de la pompe ronfla un peu plus. Mais, lentement, le niveau montait, au lieu de diminuer. L’ingénieur fronça les sourcils.

- Mettez la pompe de secours en route, commanda-t-il. Et au maximum.

Un second ronflement s’ajouta au pre­mier et le débit de l’eau doubla : alors le niveau se mit à baisser peu à peu; l’ingé­nieur retourna au tableau électrique.

Mais que voyait-il? Ce n’était pas pos­sible: le courant venait de décupler tout d’un coup!Il ne se trompait pourtant pas : surchargées, les machines, derrière lui, faiblissaient. L’ingénieur se précipita au téléphone du tunnel M Glencoë y était déjà. - Allô, allô, qu’y a-t-il?

- Comment, rien? Pas d’avarie?

- Vous êtes dans l’obscurité?

- Mais il n’y a pas de panne chez nous; les machines débitent six mille ampères.

- Vous n’avez pas de courant au train? Mais puisque nous vous en envoyons!

Le contremaître des pompes accourait, la figure décomposée.

- Monsieur! Le niveau!

- Eh bien?

- Cent-quatre vingt-dix-huit mètres.

- Comment? Il était à 215 à l'instant!

- Il vient de monter presque d’un seul coup. En moins d’un quart d’heure ! Les pompes sont débordées.

- Mais alors, la voie est inondée! s’écria l’administrateur, atterré.

- Et le troisième rail est mis en court- circuit par l’eau de mer, répliqua l’ingé­nieur, d’un ton bref.

Un silence tragique tomba entre les trois hommes.

- Monsieur, reprit l’administrateur, il faut leur envoyer du courant coûte que coûte. Mettez les machines de réserve en route, et à toute vapeur.

S’inclinant, l’ingénieur alla faire exécu­ter les ordres. L’administrateur elle contre­maître se dirigèrent vers les pompes. Un cri de stupeur s’échappa de leur gorge; le niveau était à 175 mètres; 25 mètres plus haut que le fond du tunnel.

James Harward n’avait pas eu besoin du téléphone pour suivre la marche des évé­nements; ses craintes s’étaient réalisées. Sous le poids du train, des fissures s’étaient créées et à travers les terrains inconsis­tants qui entouraient le tunnel, la mer s’était frayée un passage, augmenté à chaque minute, à chaque seconde, par la violence même de l’élément déchaîné. La galerie d’épuisement, d’abord, s’était noyée puis le niveau avait atteint les rails; et l’eau de mer reliait maintenant le troisième rail aux deux autres, offrant ainsi à l’électricité un passage sans résistance, un court-cir- cuit : le courant précipité par l’usine dans le troisième rail regagnait l’usine par l’eau de mer, sans traverser désormais les mo­teurs du train, devenus inertes. Et l’eau s’avançait maintenant avec une terrifiante vitesse; aucune fuite à pied ne pouvait sauver les voyageurs du convoi.

Heureusement l’ingénieur gardait tout son sang-froid; autant il se sentait ner­veux, inquiet, et mal à l’aise sous l’ap­préhension d’un péril incertain, autant le calme absolu l’enveloppait en face de la catastrophe tangible, qu'il fallait com­battre. Pour sauver le train et lui rendre le courant, le court-circuit du fond devait disparaître; or James pouvait obtenir ce résultat en isolant du reste de la ligne toute la partie des rails submergée; un in­terrupteur de sectionnement avait été franchi peu avant l’arrêt. En le manœu­vrant, on fermait à l’électricité le chemin de la mer, on rétablissait l’état normal sous les roues du train.

Vers la lumière et le salut

 

L’ingénieur sauta à terre, et soudain, du train entier, les voyageurs affolés voulurent limiter.

- En voiture, en voiture, dut crier le jeune homme.

Et comme, dans la clarté incertaine, la masse semblait peu disposée à l’écouter, il dut parlementer, alors que le temps pressait, que les secondes étaient des siè­cles, puisque là-bas, plus bas, la mer con­tinuait son implacable envahissement.

- Il n’y a aucun danger, affirma l’ingé­nieur d’une voix forte, scandée. Aucun danger. Nous repartons de suite. Restez en voiture!

Une forme humaine sauta contre lui : tout l’être du jeune homme frémit! c’était Blanche Glencoë.

- Monsieur, dit-elle d’une voix prenante, la vérité, dites-moi la vérité... pour ma mère? ajouta-t-elle tandis que son attitude suppliante implorait James.

- Dites à Madame votre mère qu’il n’y a aucun danger, répéta l’ingénieur d’un ton ferme. Et surtout restez en voiture, quoiqu’il arrive... Il y va de votre vie, ajouta-t-il à voix basse.

La jeune fille leva ses yeux vers James : leurs regards se croisèrent, chargés de pensées profondes: ému, l’ingénieur dé­tourna la tête; Miss Glencoë remontait dans le wagon, s’appuyant sur le bras ner­veux du jeune homme. Et ce contact l'enfiévrait plus que les effrayantes cir­constances qui l’entouraient.

Docile, cependant, instantanément tran­quillisée, la foule remontait, fermait les portières : tous, ignorants de la situation, ne demandaient qu'à croire l’ingénieur. Quelques-uns plaisantèrent la Compagnie. L’alerte était passée. James put se préci­piter dans le noir, vers l’interrupteur qu’il savait à quelque cent mètres.

A mesure qu’il s’éloignait du convoi bruyant, un bourdonnement sourd, impré­cis, s’entendait mieux. Bientôt James arriva près de l’interrupteur. Le bourdon­nement devint grondement : c’était un long bruit grave, heurté, menaçant. L’in­génieur comprit : c’était le rugissement de la mer, encore lointaine, mais qui s’avançait, réclamant sa proie. En même temps, une senteur âcre, à peine perceptible, vi­ciait l’atmosphère lourde du tunnel, irritait la gorge du jeune homme. Une bouffée plus nette dissipa les hésitations de son esprit : c’était l’odeur caractéristique du chlore! Mais alors... oui, c’était cela ; le courant électrique qui traversait l’eau de mer la décomposait en dégageant du chlore, et le terrible gaz asphyxiant se ré­pandait en avant de l’inondation.

Fébrilement, l’ingénieur manœuvra l’ap­pareil. Aussitôt la lumière réapparut sur le convoi qu’alimentait l’usine enfin séparée de la mer. James put courir vers la clarté, et l’on repartit.

Était-ce le salut! James l’espérait. Der­rière le convoi la mer gagnait certaine­ment; elle atteindrait avant peu la section électrique sur laquelle roulait le train : à ce moment, de nouveau, le court-circuit s’établirait, de nouveau la mer absorberait l’électricité. Il fallait donc que le convoi eût quitté cette section, que l’ingénieur l’eût isolée1 avant l’instant fatal où la mer l’attaquerait. Or le poste suivant était au kilomètre 24, cinq kilomètres en séparaient l’express, alors que la mer, tout à l’heure, touchait presque à son but. Jamais le con­voi n’en sortirait : la vitesse était insuffi­sante. Dans la machine, rien à faire : le wattman raidi maintenait sa manette au dernier cran : la vitesse ne dépendait que de l’usine. James résolut une tentative de ce côté :décrochant le téléphone, il appela.

- Oui, le train est en route. Nous avons pu couper la section avariée. Mais nous n’allons pas assez vite. Pouvez-vous aug­menter la tension?

- Oui, faites emballer les machines. Tout ce que vous pouvez. Si la mer nous atteint, nous sommes perdus.

- C’est cela. Allez... Comment... Non, les voyageurs ne se doutent de rien.

- Oui, un commencement de panique. J'ai pu les calmer. Allô 1 M. Glencoë... est là... Oui. Bien, prévenez-le que Mme Glen­coë et sa fille sont à bord... C’est tout. » L’ingénieur raccrocha. Presque aussitôt les lampes brillèrent d’un éclat plus vif, éblouissant; l’usine donnait toute sa puis­sance. Le ronflement des moteurs augmenta de plusieurs tons; le train poursuivi, sem­blant se redresser d’un dernier effort, s’élança dans une course folle.

 

Le suprême sacrifice

 

Joyeux, James notait les kilomètres au passage : 20, 21, 22; encore quelques ins­tants, la section menacée allait être aban­donnée; plus que quelques tours de roues... Mais le jeune homme sentit son sang se figer, tandis qu’une sueur froide inondait ses tempes : inexorable, la lumière venait de baisser. Pour la seconde fois* les lampes s’éteignirent; l’obscurité de nouveau s’abat­tait sur le convoi, dont la vitesse diminuait. Une lueur d’espoir soutenait encore James et le mécanicien : peut-être, par la vitesse acquise, atteindrait-on la fin de cette sec­tion maudite. A faible allure, la borne 23 fut dépassée. Mais bientôt les deux hommes durent renoncer à cette ultime chance. Dans un grincement, les roues se calaient : encore une fois,la mer avait vaincu l’homme, le convoi était en détresse.

Que faire? Aucun appareil ne permettait d'interrompre la voie à proximité, derrière le train; et les torrents d’électricité qu’en­voyait toujours l’usine allaient là-bas se perdre dans l’eau perfide, tandis qu’immobilisé le convoi semblait attendre la mer, la mort!

Consterné, le mécanicien regardait l’in­génieur. Une clameur proche tira celui-ci de ses réflexions : affolés sérieusement, les voyageurs réclamaient des explications; pris de peur, quelques-uns voulaient s’en­fuir à pied. - Il y a six kilomètres et demi, répli­qua l’ingénieur, d’ici à l’orifice.

- Eh! bien, c’est une promenade. Cela peut se faire.

- Vous n’aurez pas le temps, riposta l’ingénieur.

- Comment, pas le temps.., Qu’est-ce qui nous menace donc?

- Le feu, interrogea l’un? - La voûte s’effondre? demanda l’autre.

- Qu’y a-t-il, quoi? Qu’est-ce que c’est? Parlez? Que craignez-vous?

L’ingénieur se taisait, Un énergumène le secoua violemment. Le cercle se resserrait autour de lui. Les voyageurs descendaient en foule. Leurs cris emplissaient le tunnel et se répercutaient étrangement sous la voûte obscure.

- Enfin, qu’est-ce qu’il y a, hurla-t-on?

- La mer, répondit James, cédant enfin-

- La mer!

Un silence stupide s’abattit sur la foule.

Puis des questions éplorées recommen­cèrent. Mis au courant, les voyageurs pâ­lissaient. Blême, l’ingénieur méditait et crispait les poings. Rien! il ne voyait rien à faire! Allait-on donc mourir là? Hélas, quel miracle pourrait ressusciter la puis­sante machine qui gisait, inerte?

Et soudain, l'odeur trop connue arriva. Plus dense, plus épais qu’au premier arrêt, le chlore s’avançait, rasant la terre, alour­dissant l’air, irritant les bronches qu’il allait suffoquer. La terreur parvint à son comble.

Obéissant d’instinct à l’ordre de James Harward, les voyageurs remontèrent dans les wagons, dont ils fermèrent les ouver­tures. Mais n’était-ce pas retarder seule­ment le dénouement fatal? A ce moment, Blanche Glencoë surgit devant l’ingénieur. - Monsieur Harward, murmura-t-elle d’une voix très douce, ne nous reste-t-il aucune chance de salut? Sommes-nous condamnés?

Le jeune homme secoua faiblement la tête en signe de dénégation.

C’était presque un aveu.

- Alors, c’est fini, reprit la jeune fille en se rapprochant. Nous allons rester là? L’ingénieur ne répondit pas. Blanche, tendrement, lui prit les mains dans les siennes.

- James, dit-elle alors, plus près encore, je puis vous l’avouer, puisque nous sommes perdus, James, je vous aimais.

L’homme baissait la tête. Rougissante, la jeune fille appuya son front contre l’épaule de l’ingénieur.

- Je vous aime, James; consolez-vous puisque nous mourrons ensemble.

Le sentiment de l’irréparable pénétrait l’ingénieur de fureur et de honte. Des larmes de rage coulaient sur ses joues. Atterré, il semblait étranger à cette scène, lorsqu’aux derniers mots de la jeune fille il se redressa soudain, l’œil illuminé.

- Non, cria-t-il, non ! vous ne mourrez pas. J’ai une idée. Nous partons.

Sautant sur la machine, James se baissa vers le coffre à outils et s’empara d’un lourd marteau de forgeron. Puis se préci­pitant comme un fou, il s’éloigna sur la voie vers l’arrière du train, au milieu de l’atmosphère empestée.

Le troisième rail s’étendait le long de la voie. A la lumière d’un falot, l’ingénieur chercha la place d’un joint entre deux pièces du long ruban. Puis, ayant posé le falot à terre, respirant à peine au milieu des vapeurs méphitiques, l’ingénieur leva sa masse et frappa. Avec le geste des preux antiques, il attaquait à deux mains, hale­tant, menant le suprême combat contre les éléments coalisés.

Le rail résistait. Enfin, la matière gémit, l’éclisse métallique se brisa, la massive pièce d’acier fut déboîtée de son support, et sous un dernier coup, formidable, pro­digieux, surhumain, une large déchirure se produisit dans la ligne. Mais le courant, brutalement rompu, amorçait un arc, une masse de feu, grondante et foudroyante, dont le fracas tonitruant éclata sous la galerie.

Aveuglé, renversé, James tomba en ar­rière. Plus dense, le chlore envahissait la voie, éteignit le falot. Dans l’insondable obscurité gisait le corps de l’ingénieur.

L’émotion à Algéciras

 

Algéciras attendait son train. C’était, pour la ville, le grand jour.

Le long des façades, aussi bien sur les monuments officiels que sur les plus humbles maisons particulières, les dra­peaux claquaient au vent. Dans le port, les pavillons multicolores épaississaient les fines mâtures des yachts, les étais plus massifs des paquebots. Une foule compacte et endimanchée encombrait les rues, cir­culant sans hâte, plus nombreuse, plus impatiente autour de la gare et de l’usine de la « Gibraltar Tunnel Railway », splen­didement décorées. A l’intérieur, le haut personnel de la Compagnie fêtait l’élite de la population. Après tant d’efforts, le succès couronnait enfin l’œuvre immense: le pre­mier convoi « Gibraltar Tunnel Railway », venu d’Afrique, allait surgir de terre!

Tout d’abord, les nouvelles du train affi­chées, puis colportées de bouche en bouche, avaient déchaîné un enthousiasme avide de s’exhaler. Maintenant la foule attendait d’autres détails. Mais plus rien n’arrivait. L’administrateur délégué avait disparu. L’ingénieur en chef des travaux, tout à l’heure empressé auprès des dames, était devenu introuvable. Le menu personnel, seul, répondait que le train allait être là. Un électricien, tout fier de sa casquette neuve, renseignait jovialement un reporter: - Pas de nouvelles, bonnes nouvelles, monsieur, disait l’homme.

- Mais pourquoi ne téléphonent-ils plus?

- Ils n’ont rien à dire...

- Lopez, intervint tout à coup un chef d’équipes s'adressant à l’électricien, à l’usine, vite!

Le journaliste avait entendu. Rapidement il se rapprocha du chef.

- Y a-t-il quelque chose de nouveau, monsieur, questionna-t-il d’un air aimable?

- Non... non, rien, répartit le surveillant troublé. On met toutes les machines en route, simplement! Et il s’éloigna.

- Simplement... murmurait le reporter, allons donc voir.

Et il se dirigea vers l’usine. A la porte, nul employé ne se tenait plus. D’un coup d’œil, le journaliste entrevit une activité anormale, un désarroi évident. Dans un coin, discutait avec violence le haut per­sonnel de la Compagnie. A pas de loup, le reporter s’approcha.

- Encore une nouvelle panne...perdus... niveau monté... inouï... machines surchar­gées... arrêt... catastrophe...

Le journaliste s’éloigna, bondit au télé­graphe. Sur le vu de sa dépêche,l’employée s’effara. Quelques secondes après, tout Algéciras savait que le « Gibraltar Tunnel Express » était à jamais enseveli au fond du tunnel !

Ce fut une clameur, le hurlement féroce et lugubre des foules méridionales devant la mort. Puis il y eut une ruée de la popu­lace. Les barrières cédaient, les portes volaient en éclats. Contre les murs de l’usine le flot se heurta, revint en un ressac souple et grouillant, s’entêta, exigeant des détails.

- Des nouvelles, des nouvelles... des nouvelles...

! L’administrateur, très pâle, parut à une fenêtre. Le silence se fit, absolu.

- Le train vient de repartir. L’arrêt n’a été que de quelques minutes, et sans gra­vité. Le convoi sera là dans un quart d’heure.

Instantanément la joie la plus folle en­vahit l’âme versatile de la foule. Des cris d’allégresse, des hurrahs, des vivats fré­nétiques retentirent. Les mouvements les plus désordonnés animaient, déplaçaient en tourbillons incertains ces masses sans but apparent. Le peuple exultait.

Et presque aussi vite, l’inquiétude revint, assombrit tout, brisa les espoirs. Les bruits sinistres soudain s’imposèrent. Exaspérées de nouveau, les bouches criè­rent aux nouvelles. L’administrateur ne paraissait plus.

Puis un vent de désespoir courba les têtes : une seconde panne venait de se pro­duire. Le cri incessant s’imposait plus vibrant:

- Des nouvelles. Des nouvelles?. Un homme parut et put se faire enten­dre :

- Le téléphone ne fonctionne plus! Le dernier lien joignant le convoi au reste du monde venait de se briser!

Alors, une folie effara les gens. Un remous les détourna de l’usine impuissante, une course hagarde les jeta vers la bou­che du tunnel: et tassée là, en un troupeau furieux, de .tous ses yeux surexcités, la foule regardait le trou, comme s’il allait déceler le drame qui se passait au fond, comme si le désespoir des vivants pou­vait secourir l’infortune des sinistrés.

A ce moment, l’atmosphère, devant le trou, s’embua faiblement. Une fumée légère apparut à l'orifice, roulant lentement au ras du sol. Puis les tourbillons se précisèrent, s’épaissirent, on discerna la couleur verte. Les premiers rangs des hommes suffoqués durent reculer. Une terreur plus intense écrasa les corps, une angoisse horrible étreignit les âmes.

- Le soufre, chuchotait le peuple, courbé sous un frisson superstitieux, le soufre... C’était le chlore!

Les cris aigus des femmes, les sanglots des mères couvraient par instant le gron­dement rauque de la foule délirante. Sur eux, magnifique, le soleil faisait éclater la majesté du ciel superbement bleu. Dans la brise marine, les drapeaux et les fleurs se balançaient toujours, tandis que sur la mer les barques ondulaient mollement sous l’impulsion de leurs voiles blanches,symboles de paix, de calme et de prospé­rité.

 

Tout espoir est perdu


Dans l’usine, l’indécision était extrême. M. Morton, l’ingénieur mécanicien, était absorbé par ses machines qui tournaient à toute puissance, surmenées et emballées pour déverser dans le gouffre les torrents d’électricité qu’il réclamait. Aussi linquié- tude immédiate pour son matériel permet­tait-elle à cet homme de s’abstraire quel­que peu de la catastrophe extérieure. L’in­génieur en chef des travaux, M. Harlo\v,se dépensait en gestes aussi violents qu’inu­tiles. Une rage le secouait contre ces élé­ments perfides, ces sables inconsistants, cet océan furieux, qu’il n’avait pas su vaincre.

M. Glencoë, au contraire, était complè­tement effondré. Il avait pris l’habitude d’imposer à tous sa seule volonté, sa seule compétence, aussi bien sur les questions techniques que sur les problèmes finan­ciers. Tout devait plier devant ses ordres. Un conllit latent, une antipathie sourde le séparait de son personnel, surtout de James Harward, qui n’admettait pas tou­jours l’omniscience de M. Glencoë. Aujour­d’hui, à l’heure du danger, l’administra­teur délégué cherchait en vain son auto­rité de jadis pour imposer quelque chose: il ne trouvait rienl

Revenu du télégraphe, le journaliste fureteur essayait de pénétrer le problème tragique, de comprendre les circonstances exactes de la catastrophe. Rôdant autour des chefs, il scrutait leurs physionomies. A ce moment, la nouvelle parvint que le tunnel vomissait des torrents de chlore.

- Le courant électrolyse l’eau de mer, dit l’ingénieur mécanicien. Les malheu­reux vont être asphyxiés.

- Ne faudrait-il pas arrêter les machines, intervint M. Harlow?

L’administrateur se taisait. Sèchement, le journaliste l’interpella.

- Monsieur l’administrateur, n’allez-vous rien décider. N’allez-vous rien tenter?... Enfin, faites quelque chose!... Ou alors, cela vous est égal! La belle affaire que la vie de ces malheureux ! On voit bien que vous n’y êtes pas !

- Ma femme et ma fille sont à bord du train en détresse répondit M. Glencoë, d’une voix étranglée !

Le journaliste s’inclina.

- Excusez-moi, Monsieur, reprit-il plus doucement.

Mais rien n’est-il possible! Ne peut-on descendre dans le tunnel?

- Le niveau de l’eau dans le puits in­dique celle-ci à 7 kilomètres de la bouche, répliqua M. Morton. Une heure et demie de marche ; et dans un quart d’heure tout sera fini ! d’ailleurs le chlore empêcherait de pénétrer?

- C’est l’électricité qui produit le chlore ?

- Oui.

- Alors coupez le courant.

- Jugez vous-même, intervint l’admi­nistrateur. Si nous laissons le courant, le chlore asphyxie les voyageurs. Si nous le coupons, nous supprimons au convoi sa dernière chance de salut.

La situation était sans issue à l’usine. Un silence lourd retomba. Au bout d’un ins­tant, n’y tenant plus, les hommes se le­vèrent et sortirent pour, eux aussi, se diriger vers l’entrée du tunnel.

Le chlore, maintenant, se dégageait en grands tourbillojns verdâtres, qui repous­saient la foule atterrée. Sans doute, l’eau qui envahissait la galerie.refoulait l’atmos­phère vers l’orifice. Qui pouvait subsister dans un tel milieu !

- Et si les voyageurs ont quitté le train, dit quelqu'un.

- Peut-être viennent-ils à pied, ajouta le reporter.

- Le croyez-vous, lui répliqua l’ingé­nieur? - N’importe il faut arrêter le courant.

- Arrêtez le courant, appuyèrent quel­ques voix dans la foule, arrêtez !

- Peut-être, acquiesça l'administra­teur.Et il se retourna pour gagner l’usine.

A ce moment des rafales de chlore sur­girent, plus violentes, comme chassées par quelque chose d'immédiat. En même temps un roulement sourd fut perçu, gran­dit, éclata, et à 100 à l’heure, le train sinis­tré émergea du trou.

Aussitôt on coupa le courant.

Le convoi ralentissait: et tous virent cette chose horrible: A l’avant, dans la loge vi­trée de la machine, crispé sur la manette qu’il fallait maintenir à fond, un cadavre, horriblement défiguré, aux traits convul­sés par l’asphyxie; jusque dans la mort, jusqu’après la mort, le wattman accom­plissait son devoir!

Mais alors, tous avaient péri? C’était un train de cadavres qui remontait trop tard, en vain?

Le hurlement d’épouvante retentit de nouveau, puis se rua soudain en une cla­meur de soulagement. Des hommes avaient bondi sur les wagons encore en marche. Les portières s’ouvraient. A l’intérieur des voitures hermétiquement fermées sur l’ordre de James, le chlore n’avait pu qu’à peine s’introduire. Les passagers heureu­sement étaient saufs.

Dans la dernière voiture, un homme gi­sait, ensanglanté, le visage noirci. C’était l’ingénieur dont l’héroïque dévouement avait sauvé le convoi. Après l’interruption du rail le coup de feu l’avait terrassé. Mais ses hommes l'aimaient, et l’un d’entre eux avait couru relever le corps de l’ingé­nieur. Suffoquant, à demi mort, il avait pu le hisser jusqu’à la dernière voi­ture, et aussitôt, le convoi était reparti.

Maintenant, James était étendu sur une banquette. A côlé de lui, sanglotante, plus belle encore dans sa douleur que dans sa grâce juvénile, Blanche Glencoë était agenouillée.

- C'est pour nous, murmura-t-elle d'une voix brisée, c’est pour moi qu’il est mort, qu’il s’est sacrifié.

Un médecin approcha, examina l’ingé­nieur. D'un geste triste il répond à l’interro­gation muette de la jeune fille. C’est la fin.

Alors Blanche s’incline, étreint passion­nément le cadavre et sur son front meurtri dépose un chaste, un unique baiser, le baiser des fiançailles, le baiser d’adieu!

Mais qu’est-ce? Sous l’ardente caresse, un frisson semble parcourir le corps inerte. Une légère teinte anime le visage décoloré! L’homme fait effort. Les lèvres gémissent, les yeux s’entr’ouvrent! Puis une béatitude céleste emplit son regard, le blessé sourit à la jeune fille, et retombe épuisé.

Mais cette secousse est salutaire; l’orga­nisme vigoureux de James doit reprendre le dessus.

- Il vivra, confirme le médecin après un nouvel et plus attentif examen, tandis que, vaincue à son tour par tant d’émotions, Blanche Glencoë s’abat, palpitante, dans les bras de son père, enfin accouru.

 

°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°

 

Quelques mois après, le « London Africa Express » sortait à vive allure du tunnel de Gibraltar, emportant, en voyage de noces, vers l’Afrique du Sud, le nouveau directeur de la « Gibraltar Tunnel Railway Co », M. James Harward et sa jeune femme, la délicieuse Blanche Glencoë.

 

Jean Jaubert.

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