Dans cette courte nouvelle humoristique, l'auteur Henri Falk, célèbre pour son « L'age de plomb » ( édité « A l’œuvre ») nous brosse un portrait mondain futuriste avec ses tendances et ses marques de bon goût. Ainsi en quelques lignes, tenues affriolantes, libération des mœurs et sports de haut niveau, vont-ils être l’apanage du monde de demain mais toujours sur le ton badin qui fut de mise lors de ce numéro spécial du crapouillot intitulé à juste titre « Le crapouillot de l'an 3000 » publié pour le Noël 1919.Les illustrations de na nouvelle sont de Dresa
Au Salon, vernissage (1). Écrasement d’élégances devant la toile : Un dancing au XXe siècle, temps barbare où l’on ignorait la danse en plein air. Il est vrai que l’emmagasinement des rayons solaires était inconnu et que nos grands-pères gelaient en hiver (sauf pendant les années 1914-1918, où il fit plutôt chaud, dit-on). Aujourd’hui, c’est l’été perpétuel et les modes féminines se créent en conséquence : reconnu Mme Coc, concubine en chef du Ministre des Fromages, vêtue d’une superbe fourrure d’astragale. Innovation charmante : deux ouvertures circulaires du costume laissent passer les seins de Mme Coc, qui a déclaré, souriante :
— J’arbore ma devise : rondeur et fermeté.
Gros succès pour Mlle Susu, de la Comédie-Française, candidate au sous-concubinat avec le vice-Président des Etats-Unis d’Europe : étole en hermine, ventre à nu, jupe en peau de coloquinte. Et triomphe pour Mme Domi, la plus jolie femme de M. Cit, le grand constructeur d’avions -taxis : cape en poil d’équinox, jetée à même la chair.
En somme, tendance continue à la simplification du costume : et cela est bien. Bracelets et jambelets très portés. Pierre fine à la mode : le saphir toujours coté : « Les saphirs sont les saphirs », comme dit un de nos grands financiers.
Pour les hommes, comme pour les femmes, vêtements luxueux, mais de plus en plus simples. A ce propos, signalons, avenue du Maréchal-Barbusse, la Rétrospective du Pantalon, très courue et très comique. Un temps fut - le croirait-on ? - où ce fils terrible des braies gauloises enserrait les cuisses viriles. Aujourd’hui, la robe est reine.
N’était-elle pas, d’ailleurs, la mise des anciens qui savaient la douceur de vivre ?
Donc, remarqué M. Suc, deuxième concubin de Mlle Brouth, la célèbre aviatrice, en toge d’homes- pun à large échancrure sur la poitrine, M. Try, l'illustre comédien, et M. Gui, son fils, tous deux en toges bleu azur avec bandes couleur d’arc- en-ciel.
La sandale, pour les deux sexes, demeure la règle. Le chapeau d’homme reste aboli : la disparition de la calvitie l’a tué. Quand je pense qu’il y a eu des chauves ! Qu’on a pu ignorer la greffe du système pileux ! A petites causes, grands effets : le développement des sports est surtout dû au fait qu’on ne s’enrhume plus du cerveau. Signalons que la semaine sportive fut éblouissante.
La course Paris-Lune et retour, en avion-bolide, a été gagnée par M. le Sénateur Dudu. Il est, paraît-il, demandé en concubinage par une charmante Lunatique.
Dans le match force virile du « Bazin-Club », M. Paul, de l'académie-Française, a triomphé du Dr Jules, de l’Académie de Médecine. Ce dernier avait, pourtant, l’avantage de l’âge mûr, cent ans, sur son rival, sexagénaire.
Les croisières sous-marines ont repris : M. Gaz, le richissime charcutier, a donné une redoute verte en son yacht submersible, brillamment immergé sur un banc d’huîtres perlières. Le scaphandre à queue était de rigueur. La chaleur communicative du Gulf-Stream anima la fête aquatique qui se prolongea fort avant dans la mer.
On me prie d’indiquer aux sportsmen fatigués qu’ils peuvent faire une excellente cure d’altitude, en hôtel dirigeable, à « l’Ether Palace », qui planera, pendant la saison de Deauville, à 10.000 mètres au-dessus de la cote. Tous les soirs, service de parachutes, pour le Casino.
Henri Falk
(1) L'étymologie de ce vieux mot m’est souvent demandée ; les élégantes d’il y a mille ans se vernissaient, dit-on le visage avant de paraître en public.
L’ouverture du Salon leur était une grande occasion de vernissage.
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