Il fut un temps où l'exotisme de certains pays était non seulement source de profits pour ceux qui savaient y exploiter leurs matières premières mais il furent également le terreau de légendes et d'histoires extraordinaires que des explorateurs peu respectueux de certaines réalités scientifiques, s'efforçaient d'entretenir quitte à verser dans l'absurde le plus total. Et l'on voit alors fleurir dans les magazines relatant les découvertes de ces intrépides aventuriers, des récits fantastiques où les animaux les plus extravagants se disputent la vedette à certaines aberrations humaines voir végétales. Ces histoires ont nourri toute une génération de lecteurs qui, bien installés confortablement dans leurs fauteuils de salons ou de bibliothèques, frissonnaient à la lecture de ces récits peu réalistes mais ô combien palpitants pour le simple homme de la rue. Bien souvent, et par manque évidente de sources fiables, il était impossible de vérifier certaines affirmations, entretenant de fait toute une quirielle de légendes plus ou moins exotiques qui firent les choux gras de tout un secteur de la presse spécialisée dans les voyages et explorations.
Nul ne pourrait leur jeter la pierre de la science à la figure, car de ce terreau fertile en histoires merveilleuses, est né bien des légendes dont l'empreinte marquera de façon durable l'imaginaire
collectif et fut, par voie de conséquence, le moteur essentiel à une multitude de romans et nouvelles extraordinaires. L'exemple le plus frappant est sans nul doute l'affaire de la plante mangeuse
d'homme de Madagascar et l'on pourrait presque penser à un titre de la série de romans des « agents très spéciaux » si cet incroyable canular n'avait pas été longuement entretenu par cet aura de
mystère dont le pays fut auréolé à cette époque. Cette thématique fut traitée avec brio dans les incontournables numéros 77 (Printemps 2007) et 80 (Hivers 2007) de la revue « La garance voyageuse », toutefois avant de vous présenter cette nouvelle inédite de Jean De Cléguer un petit rappel des faits me semble indispensable pour ceux qui ne
connaissent pas les éléments de cette palpitante énigme.
Cette histoire « d'arbre cannibale » fut décrite pour la première fois par un certain Carl Liche en 1878 et qui en avait fait un compte rendu par courrier et adressé au Docteur Omélius Fredlowsky,
savant Polonais de son Etat. L'auteur nous y révèle la découverte faite par un explorateur, de ce redoutable végétal qui, lors d'un rituel assez terrifiant des Mkodos, absorbe une innocente victime
et la digère en l'espace de quelques jours. Cette invraisemblable histoire marqua à tel point les esprits quelle fut relatée sous une forme un peu ambiguë ( car le document avec gravure à l'appui ne
précise pas s'il s'agit d'un témoignage ou d'une histoire romancée) par deux revues bien connues des savanturiers que nous sommes puisque publiée dans « Le musée des familles » de Mai 1878 sous le
titre de « L'arbre anthropophage » par Ch Raymond et sous le même titre dans « Le journal des voyages » du 8 Septembre 1878 et rédigé par Bénédict-Henry Révoil.
Il ne fait aucun doute que les trois textes présentent de troublantes similitudes, Raymond reprenant les « Mkodos » de Carl Liche, Révoil préférant quant à lui mettre à l'honneur une ethnie
différente, les Sakataves. Toutefois, le texte paru dans « Le journal des voyages » s'éloigne quelque peu du fond de l'histoire originale puisqu'il n'est pas ici question de livrer en offrande au
Dieu/arbre une jeune vierge mais un guerrier jugé et condamné par les représentants de sa propre famille « royale ». Le final sera de toute manière identique puisque dans les trois cas, le corps sera
digéré par la plante, ne laissant dans les jours suivants que quelques os parfaitement nettoyés.
Le plus curieux dans cette histoire c'est que bon nombre d'auteurs s'efforceront par la suite, de manière voulue ou non, d'entretenir cette légende. Les témoignages approximatifs foisonnent, les sources peu fiables nombreuses et il faudra attendre l'ouvrage de Willy Ley « Animaux fabuleux, créatures légendaires » (éditions Julliard 1964) pour qu'une partie du voile soit levée. En effectuant des recherches sur toutes les personnes, apparemment dignes de foi, ayant participées à la genèse de cette histoire, en l'occurrence Carl Liche, il lui est impossible d'en retrouver la trace, pas plus que la fameuse revue scientifique « Le Carlsruhe Scientific Journal » dans lequel un autre source, Sophia Prior, prétend dans son ouvrage publié en 1939 « Les plantes carnivores et l'arbre mangeur d'hommes », y avoir relevé des éléments affirmant l'existence de cet « arbre mangeur d'hommes ». En poussant encore plus loin ses investigations, Ley relève l'existence d'un ouvrage du Docteur Conrad Keller qui dans son « Esquisse de voyage entre l'Afrique Occidentale et Madagascar » (1887) affirme que déjà à l'époque il avait eu vent de cette histoire et qu'après enquête il lui avait été également impossible d'en vérifier l'authenticité, faute d'éléments patents.
Dans son article intitulé « Le pays de l'arbre mangeur d'homme » Willy Ley nous apporte donc la preuve flagrante que cette incroyable histoire de «
plante cannibale » possède une forte odeur de supercherie et qu'elle fut à ce point si bien huilée que tout le monde tomba dans la panneau et qu'il fallut quasiment attendre la seconde moitié du
XXéme siècle pour avoir la preuve qu'il ne s'agissait probablement que d'un « canular », basé sur des éléments réels mais poussés à l'extrême. Rappelons qu'à l'époque Charles Darwin dans son
« Insectivorous Plants » (1875) avait commencé à établir un recensement de ces curieux végétaux dont les propriétés furent beaucoup contestées,
entraînant une division au sein des scientifiques : Qui a cette époque, propice aux voyages et aux grandes découvertes, n'aurait pas inventé une telle histoire afin d'en tirer les honneurs et la
gloire ?
Le dossier pourrait ainsi se clore si je n'avais découvert un autre texte reprenant à l'identique le pseudo texte original de Carl Liche et qui fut publié le Dimanche 15 Janvier 1933 dans la revue «
Pierrot » le journal des garçons. La longue nouvelle qui nous est ici présentée par Jean De Cléguer, si elle présente de troublantes similitudes avec les trois autres textes cités plus haut, sera
toutefois plus édulcorée et nous révélera un final quelque peu différent des autres versions. On y retrouve le fameux arbre dans une région inconnue de Madagascar, qui présente les mêmes
caractéristiques, en forme d'immense ananas surmonté de feuilles géantes et tentaculaires exsudant une sorte de suc aux propriétés hallucinatoires. Toutefois dans la nouvelle de Du Cléguer, point
d'aspect spectaculaire et morbide, pas de scènes gore à grand renfort de chair digérée et d'os blanchi d'avoir été longuement sucés. Probablement que dans cette publication destinée à la jeunesse il
fallait se contenter d'une histoire fantastique sans pour autant effrayer les jeunes lecteurs avec de violents descriptifs. D'ailleurs, volontairement ou non, du même coup l'écrivain tout en
confirmant dans cette fiction l'existence d'un tel arbre, l'auteur apporte une autre hypothèse qui est en vérité fort séduisante et pourrait être parfaitement crédible, hypothèse que je vous laisse
découvrir à la lecture de cette nouvelle.
Le dossier est donc loin de se clore et nul doute qu'il nous reste encore bien des choses à découvrir sur ce passionnant dossier de « l'horreur végétale » dont il vous sera possible d'en découvrir
une approche remarquable et fort bien documentée dans les numéros de « La garance voyageuse » cités en début d'article
Approche d'une bibliographie Française de l'arbre Anthropophage
- « L'arbre anthropophage » de Benédict-Henry Revoil, illustré par Pouget, dans la revue « Journal des voyages » N° 61 du Dimanche 8 Septembre
1878.
- « L'arbre anthropophage » De Ch Raymond, illustré par P.Kauffmann,dans la revue « Le musée des familles » Mai 1878
- « A Travers l'Australie » de Louis Boussenard. Editions Dreyfous ? 1878
- « Gloutonnerie végétale » de Grosclaude dans le recueil « Hâtons-nous d'en rire » Editions Ollendorff 1895.
- « L'arbre maudit » de Georges Rouvray dans la revue « Mon bonheur » N° 50,1907 -
- « La Népenthe » de Jean Joseph Renaud dans le recueil « Le chercheur de merveilleux » Calman Lévy Editeurs 1907.
- « La Népenthe » de Jean Joseph Renaud. Réédition en deux numéros dans la revue « Le conteur populaire » N°170 & 171,7 et 14 Janvier, illustré par
Tofani 1908. Réédité en fac-similé à très faible tirage par le fanzine « Les presses d'Ananké ». Novembre 1986
- « L'Arbre cannibale de Saperuam » Nouvelle paru dans la revue « Jeunesse » (Robert Laffite) et Signé du pseudonyme J.N. Clabaudeur. Probablement en
1907 :
Un arbre poussant à la frontière marquée par un large et profond fossé lance alternativement de chacun des côtés des gaz toxiques qui annihilent les désirs des habitants et finissent par les
convaincre de joyeusement s'écharper. L'arbre se nourrit ensuite des corps tombés à proximité de ses racines. ( Sources provenant de l'excellent blog « Les peuples du soleil » de notre ami
Ferocias)
- « Z » de Jean Joseph Renaud parution dans la revue « Jeunesse magazine » de Pierre Lafitte du N° 1 au N°8 (30 Novembre 1905 au 8 Mars 1906)
- « L'arbre charnier » de E.M Laumann dans la revue « Lecture pour tous » 1er Septembre 1919, réédité dans « Lisez-moi aventures » N°26 1er juillet 1949 et dans «
Planète à vendre « N° 1 Octobre 1990
- « Le bolide Stratosphérique » de Alan Darmor. Edition de propagande culturelle Bretonne s.d (vers 1920) contient un chapitre intitulé « La fleur
carnivore »
- « Les aventures de Singleton-le-chercheur, 11 : « L'orchidée à la tête de mort » paru dans L'Intrépide n°637-638, du 5 et 12 novembre 1922, avec des
illustrations de A. Huguet ou H. Skindler .
- « L'arbre cannibale » de José Moselli, fascicule de la série « Le roi des boxeurs » N° 54 s.d (vers 1925)
- « L'arbre vampire » de Gustave Lerouge. 11éme fascicule de la série « Les aventures de Todd Marvell détective milliardaire » Paris édition
Nilsson 1923. Réédité en 10/18 Union Générale d'éditions collection « L'aventure insensée » sous le titre : « L'Amérique mystérieuse Todd Marvell détective milliardaire tome 2 ». 1986 -
- « L'incroyable et horrifique histoire de l'homme qui fut dévoré par un arbre » de Max-André Dazergues, dans l'hebdomadaire « Jeudi » N°68 du 13
Décembre 1934.
- « L'arbre anthropophage » de Tragon de Bozes. Dans le N° 1255 de la revue « L'intrépide » du 9 Septembre 1934
- « La plante qui hurle » de Hal Pink. Paru dans la revue « Dimanche illustré » le 22 avril 1935.
- « Le dénicheur d'arcs-en-ciel » Fascicule N° 34 de la sérié « Les aventuriers du ciel » de R.M.Nizerolles dans le chapitre « les ogresses parfumées »
et accompagné d'une très belle illustration. S.d (vers 1936).
- « L'arbre mangeur d'hommes » de G.De Boiselle. Collection Printemps N°243
- « Futuropolis » de Pellos.Parution dans le magazine « Junior » entre 1937 et 1938.Réédition, éditions Jacques Glénat en 1977.
- « La planète inconnue » de Jean De Bizac. Première parution dans la revue « Ric Rac » du N°646 (23 Juillet 1941) au N°656 (3 Octobre1941).Réédition,
Editions Apex collection « Périodica » N° 14 ,Février 1998
- « Une plante rare » de F.de Baillehache dans le recueil « Les plus belles histoires de peur » Editions Emile Paul Frères, 1942.
- « La foret qui tue » de Maurice Limat. Collection coq Hardi N°26. 1948
- « L'arbre mangeur d'hommes » de G.de Boisseble collection « Printemps » s.d
- « Fleurs infernales » de Maurice Limat, une aventure de Teddy Verano, son illustre détective dont les histoires baignent souvent dans le fantastique.
Société D'éditions Générale, 1957.
- « L'orchidée noire » de Henri Vernes .Une aventure de Bob Morane. Marabout Junior N° 122.1958.
- « Bob Morane contre la terreur verte » de Henri Vernes. Editions Marabout .BD en collaboration avec Dino Attanasio (illustrateur). 1963
Madagascar. Et je vois, rien qu'à votre expression, que vous partagez mon scepticisme initial. Comment supposer, en effet, qu'un végétal, fût-il malgache, puisse partager les appétits des
carnassiers et se repaître, à l'occasion, de chair humaine?
Notre ami respira et se complut à cette reprise d'haleine qui ne fit qu'exciter davantage notre curiosité. Il venait de le dire : le cercle d'auditeurs attentifs que nous formions autour de lui, et
qui ne demandait pas mieux que d'entendre de bonnes histoires exotiques, ne laissait pas d'être incrédule quant à la prétendue existence de l'arbre anthropophage auquel il venait de faire
allusion.
Mais, à côté de tous les « bobards » que se complaisent à rapporter d'au delà des mers certains farceurs impénitents, toujours prêts à mystifier les âmes candides, n'y a-t-il pas d'étranges récits
qui, pour incroyables qu'ils puissent paraître de prime abord, n'en sont pas moins véridiques
Autres pays, autres cieux, autres climats, autre faune et autre flore. De telles différences ne sont-elles pas étonnantes en soi, et se représente-t-on l'état d'esprit de ceux de nos ancêtres qui,
sans avoir jamais imaginé rien de pareil, entendaient parler pour la première fois des éléphants, des girafes, des rhinocéros ou des hippopotames? L'explorateur qui, avant tout autre, revint des
antipodes pour décrire les gigantesques séquoias américains, dont la hauteur dépasse parfois cent mètres, ou les banians indo- chinois, au tronc gros comme une tour, fut- il cru sur parole? Crut-on
davantage le naturaliste, qui rapporta, sans qu'on en eût encore idée, les mœurs bizarres de certains insectes et de bien d'autres animaux?
Tout de même, qu'à notre époque on vienne nous parler de cannibalisme végétal, cela passe l'entendement. Nous avons bien ouï dire que telle ou telle plante de la famille des sensitives se rétracte au
moindre attouchement; que telle ou telle fleur se referme sur la mouche ou l'oiselet qui vient s'y poser. Mais ce sont là phénomènes d'irritabilité bien explicables, et qu'il ne faut pas confondre,
comme on le fait souvent, avec les fonctions nutritives de ces plantes qui, de même que les autres, puisent leur substance vitale dans le sol par leurs racines et dans l'air par leurs feuilles, sans
se repaître des imprudentes bestioles qu'elles ont happées machinalement. Quels organes leur permettraient, en effet, de les absorber et de les digérer?
Si, faute d'une structure adéquate, elles sont bien incapables de telles fonctions, que dire d'un arbre qui dévorerait des hommes tout entiers? Allons ! L'histoire ne tenait pas debout! C'était une
galéjade, pas autre chose, une bonne tartarinade, digne tout au plus de nous faire rire par son exagération même.
Et pourtant l'ami Brun en parlait sérieusement. Et pourtant, tel que nous le connaissions de longue date, il n'avait rien d'un hâbleur. Aussi, bien, son préambule n'allait- il pas au-devant de nos
objections? De son propre aveu, lui aussi avait douté de l'existence de l'arbre anthropophage, et nous n'étions pas certains encore qu'il s'en portât garant. II posait la question, voilà tout, et ce
n'était pas à nous, mais a lui, d'y répondre d'une façon probante et convaincante.
Personne, dans l'auditoire suspendu à ses lèvres, ne rompit donc le silence qu'il observait momentanément et qu'il n'abrégea que lorsqu'il vit notre attention tendue à l'extrême.
« Mais, reprit-il lentement, comme pour mieux vriller en nous chaque mot qui allait suivre, les faits sont les faits, et l'aveugle seul refuse de se rendre à l'évidence.
« La première fois qu'on me parla de l'arbre anthropophage, je me contentai de hausser les épaules et de rire. C'est tout ce que cette sornette me semblait devoir mériter. J'étais alors à la tête
d'un cercle déshérité qui englobait l'une des plus sauvages régions de l'intérieur de la grande île sud- africaine. Un pays à la fois marécageux dans sa partie basse et très accidenté dans sa partie
haute, mais aussi peu peuplé en montagne qu'en plaine, et rien que par ces farouches Mahafalys et ces redoutables ,Antandroys qui, jadis, avaient donné tant de fil à retordre aux colonnes du général
Duchesne.
« Chargé d'étudier ses ressources et de fournir des rapports circonstanciés à ce sujet, je m'étais mis volontiers en campagne, n'ayant guère d'autre occupation utile, et celle-là me permettant non
seulement de faire des randonnées un peu partout à ma guise, ce qui m'a toujours plu, mais de chasser et de pêcher à l'occasion, deux distractions dont je demeure encore friand à l'âge que j'ai.
« C'est au cours d'une de ces explorations à cheval, faites d'ordinaire en la seule escorte d'un secrétaire et d'un serviteur malgache, qu'il me fut donné de voir enfin le fameux végétal dont la
macabre réputation n'avait pas manqué de venir jusqu'à moi. Mon secrétaire m'en avait parlé. Mon boy aussi. D'autres encore. Et leurs dires concordaient.
« Ils m'assuraient que cet arbre pouvait, tout comme une pieuvre géante avec ses tentacules, saisir un être humain et le dévorer vif. Je ne vous ai pas caché que je n'en croyais rien. Mais des
plaintes m'étaient parvenues qui m'obligeaient à ne plus prendre l'affaire à la légère.
« Des indigènes étaient venus nous déclarer, avec tous les signes d'un affolement profond et d'une sincérité incontestable, que l'existence devenait impossible dans leur clan. Ils avaient pour chef
une sorte de tyran du nom de Gobatsi, qui, pour le plus léger motif, les mettait à mort avec des raffinements inouïs de cruauté. Mais, entre tous les supplices qu'inventait ce noir despote, il n'en
était pas de plus horrible, à leur sens, que celui de l'arbre anthropophage. Car, à les entendre, Gobatsi livrait nombre d'entre eux à ce dévoreur d'hommes. Il les leur livrait sans défense,
puisque pieds et poings liés. Et l'arbre monstrueux les étreignait et les engloutissait avec la même voracité que n'importe quel animal féroce. Il ne s'agissait donc plus de simples ragots, ni d'une
légende sans, consistance. Et, bien que ma raison se refusât encore à accepter intégralement une telle version, je me voyais obligé de tirer l'affaire au clair. Persuadé, en tout cas, d'avoir maille
à partir avec Gobatsi, sinon avec son arbre à, supplices, je fis en sorte de renforcer mon escorte habituelle. Sur ma requête, le commandement militaire m'adjoignit une section de tirailleurs,
commandée par un jeune sous-lieutenant français et deux vieux sergents malgaches. L'officier s'appelait Léonard. J'ai appris avec regret, depuis lors, qu'il est tombé glorieusement au front,
pendant la seconde bataille de la Marne. Car je dois vous dire que tout cela remonte assez loin et date d'avant la Grande Guerre.
« Me voilà donc parti en bonne compagnie, sous la conduite d'un des malheureux qui étaient venus nous dénoncer les féroces pratiques de leur chef de clan. Nous fîmes plusieurs étapes à travers une
région où je ne m'étais jamais aventuré. C'était le pays des « raquettes », ainsi dénommé à cause des innombrables cactus qui en hérissaient le sol. A part cette désagréable végétation qui rendait la
marche impossible hors des pistes indigènes, on ne distinguait, çà et là, que quelques figuiers-banians, dont les troncs multiples et entrecroisés formaient d'imposants dômes de feuillages à l'ombre
desquels il faisait bon camper.
« Je vous ferai grâce des menus incidents de notre marche en savane par des sentiers des plus capricieux et qui parfois franchissaient à gué des rivières infestées de caïmans. Nous approchions du
repaire de Gobatsi, et nos tirailleurs ouvraient l'œil. Quant à notre guide, plus nous allions, plus il se montrait hésitant et timoré. Evidemment, il regrettait d'avoir consenti à revenir dans des
parages qui ne lui laissaient que des souvenirs d'horreurs et d'atrocités sans nom.
« Je le rassurais de mon mieux, mais la présence d'une petite troupe, supérieurement armée et aguerrie, n'était pas de trop pour lui rendre un peu de cran. Sans elle, il n'aurait pas été bien loin
et m'eût fausse compagnie sans vergogne.
« Il ne consentit pas, d'ailleurs, à aller jusqu'au village même d'où il avait fui. Mais il nous mena à l'arbre anthropophage, qui se trouvait à environ une lieue en deçà de ladite bourgade.
« Je dois préciser sans plus de délai que cette expression d'arbre anthropophage était impropre. Il ne s'agissait pas d'un arbre proprement dit, mais d'une gigantesque plante grasse, de la forme des ananas, en infiniment plus grand, puisque le tronc, haut d'environ huit pieds, mesurait près de deux mètres de circonférence. Ce tronc massif et trapu n'était fait, comme ceux des palmiers, que des stipes des feuilles géantes qui le couronnaient. La tige de celles-ci avait la grosseur du bras, et des piquants les hérissaient comme autant de crocs acérés ou, mieux, de mandibules.
« J'anticipe d'ailleurs en le décrivant, car comme nous en approchions, et avant d'en bien distinguer les caractéristiques, nous dûmes nous terrer brusquement. Pris de terreur, notre guide s'était
aplati le premier. Il n'était plus noir, mais de cette couleur cendrée que prend la face des nègres sous l'effet de la peur.
« Vois ! Bégaya-t-il, en me prenant le poignet d'une main tremblante.
« Sans nous montrer, nous épiâmes de loin la scène hallucinante qui s'offrait nous. Un cortège barbare approchait de l'arbre. C'étaient Gobatsi et ses guerriers vrais sauvages à peu près nus et armé
de javelines, de couteaux de jet et grands boucliers en peau de bœuf.
« J'avais pris mes jumelles pour mieux voir ce qui allait se passer. Léonard en fit autant. Et, pendant que ses hommes, sur son ordre formel, demeuraient invisibles et silencieux derrière nous,
accroupis nous- mêmes au milieu des buissons, nous fîmes en sorte de ne pas donner l'éveil à l'ennemi, tout en suivant à la lorgnette ses moindres faits et gestes, comme si nous eussions été tout
près.
« Ce fut diablement impressionnant. Gobatsi, un hercule bestial dont les traits respiraient la plus abjecte férocité, allait sous une sorte de grand parasol que portaient des esclaves. D'autres
esclaves encadraient une jeune négresse au pagne flottant et couronnée de fleurs, que j'eusse prise pour je ne sais quelle divinité, si notre guide ne m'avait affirmé qu'elle n'était qu'une victime
destinée à être offerte en holocauste à la voracité de l'arbre anthropophage.
Effectivement, quand le cortège, à grand renfort de cymbales et de tambourins, eut atteint le pied de cet arbre, nous vîmes les esclaves grouiller autour, comme des gens qui font de suprêmes
préparatifs avant de procéder à une exécution capitale.
Ils s'apprêtaient à hisser la malheureuse sur le tronc feuillu. Pendant ce temps, j'observai que l'un d'eux y pratiquait une incision et recueillait dans une calebasse la sève brunâtre qui en
coulait.
Quand la calebasse fut pleine, il la présenta à Gobatsi qui y but à longs traits, puis la passa à ses lieutenants. Tous s'abreuvèrent à tour de rôle de ce sirop épais et capiteux qui parut les
enivrer. Alors ce furent des chants et des danses, avec l'accompagnement des cymbales et des tambourins.
« La jeune négresse avait dû boire comme tout le monde, mais sur elle l'étrange liqueur fit l'effet d'un stupéfiant, car elle cessa de se débattre entre les mains des misérables ilotes qui, pour ne
pas encourir la fureur du maître et ses terribles représailles, se disposaient à se livrer au monstre végétal apparemment avide de telles proies.
« C'en était trop. Et, malgré le doute où je pouvais être encore quant aux facultés de cannibalisme de l'arbre aux supplices, je ne voulus pas attendre davantage, ni me faire le complice, par abstention, du crime inqualifiable qui allait se commettre sous mes yeux.
« À côte de moi, Léonard frémissait et me pressait de le laisser intervenir.
« Qu'attendons-nous ? Me dit-il, tout haletant d'indignation. Ils vont donner cette pauvre enfant en pâture à l'arbre, vous voyez bien !
« J'acquiesçai d'un geste, et lui-même donna un coup de sifflet strident.
« C'était le signal convenu.
« Comme un seul homme, les tirailleurs se dressèrent brusquement et bondirent, en avant, fusil au poing et baïonnette au canon.
« Léonard chargea avec eux, ainsi qu'il convenait à son grade et à son âge. Moi, je restai en arrière avec le guide, mon secrétaire et mon serviteur, mais pas longtemps, car tout se dénoua en un
clin d'œil.
« La charge aussi endiablée qu'imprévue de nos hommes avait pris de court le cruel roitelet et sa clique. Ces belliqueux et irréductibles gaillards ne valaient pas leur réputation d'adversaires
dignes des nôtres. Ils lâchèrent pied sur toute la ligne et détaleraient encore si Léonard ne s'était arrangé pour diviser sa troupe en deux et leur couper la retraite. Quelques-uns s'échappèrent,
mais pas Gobatsi, qui, bientôt rejoint, ne voulut pas se rendre et fut embroché par un tirailleur. Plus d'un de ses complices subit le même sort, et ceux qui n'avaient pas tiré au large se jetèrent à
terre en signe de soumission et de reddition.
« On les fit prisonniers. Moi, je m'étais porté jusqu'à la jeune captive que je délivrai de ses liens. Et c'est alors que je compris le fin mot de la chose. Elle était bien destinée à être livrée à
l'arbre prétendu anthropophage, mais cette plante géante ne l'aurait pas mangée en réalité. Elle l'aurait simplement retenue entre ses feuilles piquantes jusqu'à ce que la mort s'ensuivît.
N'est-ce pas ainsi que périssent les oiselets et les infectes assez imprudents pour pénétrer au cœur des fleurs ou des plantes de cette famille? Les feuilles irritables se seraient refermées sur
elle, la retenant captive de leurs épines enfoncées dans sa chair. Et, après une agonie atroce, son corps se serait décomposée peu à peu, sous l'effet des intempéries. Mais elle n'aurait pas été
dévorée, et c'étaient les apparences qui faisaient croire de telles choses à ceux qui, comme mon guide, rapportaient le fait de bonne foi.
Bref, s'il y avait une part de vérité là dedans, le reste était bel et bien fiction. Et je ne sais pourquoi, mais je fus heureux d'en rapporter la preuve, moins, toutefois, que d'avoir mis fin à
l'horrible carrière de ce Gobatsi qui, lui, savait fort bien à quoi s'en tenir, mais avait intérêt à exploiter la crédulité de ses gens et à multiplier les sacrifices humains, pour les terroriser.
Quand l'arbre avait étouffé et déchiré ses victimes, il revenait enlever clandestinement leurs restes. C'est ce qui fait que, n'en retrouvant pas trace ensuite, on les croyait dévorées vives.
« La jeune négresse échappée de si peu à cette fin épouvantable, conclut M. Brunet, me resta attachée fidèlement. Elle est demeurée la meilleure servante de ma femme, et nous l'avons ramenée en
France avec nous.
Jean Du Cléguer
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