Il est parfois difficile de séparer la part de rêve et de réalité et lorsque les volutes perfides des substances opiacées s'emparent de votre cerveau fragilisé, alors un voile de ténèbres vous couvre le visage et le prisme déformé de votre imagination peut atteindre des limites insoupçonnés. Dans cette courte nouvelle d'un auteur anonyme, l'état de plénitude extatique se transforme vite en cauchemar et se trouve être un magnifique exemple des visions parfois violentes d'un fumeur d'opium .
Publiée dans le N°5 du 7 Avril 1904 de l'hebdomadaire Nantais « Le Phare » et réédité dans le numéro 21 du »Bulletin des amateurs d'anticipation ancienne et de littérature fantastique » (Noël 1998), cette nouvelle digne d’intérêt pour tous les chercheurs de merveilleux qui ne cessent de fouiller dans cette « malle de l'étrange » à la recherche de textes sulfureux, méritait à mon avis de sortir de l'anonymat, même si son auteur, peut-être un amateur de fumerie d'opium, préféra ne pas révéler son identité. Un petit bijou fantastique illustré pour l'occasion par des compositions de Alfred Kubin, Stephen Gammel, Theodor Kittelsen et Jana Heidersdorf.
Magie de l'Orient, charme envoutant des femmes aux yeux ensorceleurs..... bonne lecture !
Un grand merci à Norbert Goulard, grand défricheur de l'imaginaire devant l'éternel, pour l'envoi de l'illustration accompagnant le texte original.
Nous causions des effets de l'opium...
- «Voulez-vous que je vous conte une aventure assez étrange dont je fus le héros ?» demanda le secrétaire d'ambassade V...
Nos yeux devinrent attentifs :
Je ne vous décrirai pas l'intérieur d'une fumerie d'opium narra-t-il. A mon entrée dans cette espèce de bouge obscur, on me conduisit vers un divan, on me passa une pipe allumée et on me laissa.
J'avoue que les premières bouffées me causèrent des nausées terribles; mais peu à peu, néanmoins, mon estomac se calma et s'endormit, et quelques instants après ce fut la vision des paradis factices, des évocations radieuses : ce furent les rêves immenses et fous où la pensée à les suivre, la peur de sombrer dans l'angoisse affreusement douloureuse, de les voir disparaître...
Soudain, couchée en face de moi, au creux du divan d'un angle de la fumerie, j'aperçus une forme confuse, faites de plis rigides qui s'achevait sur le coussin de soie, au milieu d'une litière splendide de cheveux noirs, par une tête d'une beauté sculpturale. Ses yeux, deux yeux immenses d'une profondeur hallucinante et infinie, indiquait son origine japonaise... Nos regards se croisèrent et aussitôt les miens hypnotisés, se rivèrent aux lueurs étranges émanées de ses prunelles d'abîme...
Remarquez que je n'eus aucune sensation d'éveil et que dès l'instant où je vis ses yeux mes rêves et mes visions s'effacèrent entièrement.
Une éternité ou une seconde - je ne sais pas - je restai ainsi, toute l'essence de mon être accrochée à ses yeux...
Lentement, enfin, la forme se leva, s'assit, étira les bras et sourit... Elle laissa ses pieds aller au sol, demeura debout... et le long du mur libre, sans bruit, sans froissement d'étoffe, glissa... glissa... Vers la porte, elle se retourna... Mes yeux rencontrèrent de nouveau les siens et sans que je me fusse aperçu de ma marche, je me trouvai près d'elle... Ensemble nous franchîmes la porte... Elle me laissa sur le seuil, fit de son allure éthérée de fantôme une dizaine de mètres et ses regards, une fois encore, vinrent me chercher... J'allais... j'allais...
Nous traversâmes une nuit hideusement noire, lourde - aux souffles de fournaise... elle pesait sur mon front douloureux comme un bloc de fonte... Et tout à coup j'eus la perception très nette, sans savoir d'où me venait cette certitude que nous nous trouvions en rase campagne... Nous marchâmes longtemps encore... Des vols de moustiques, de légers coups d'ailes ou de feuilles me caressaient le visage... A l'infini, les ténèbres étaient silencieuses, sans frissons même...
Les yeux étranges, fantastiques que je suivais, m'attendaient toujours à quelques mètres en avant. Dès que je les avais rejoints ils ressurgissaient aussitôt plus loin... Malgré la nuit de tombe qui m'entourait, je les voyais distinctement, ces yeux : je les voyais comme deux lueurs noires scintillantes, deux reflets centuples de jais pur...
Soudain, un cri, tellement brusque que toute mon âme sauta d'angoisse, s'épandit dans la nuit... Je rejoignis les yeux...
Les yeux demeurèrent immobiles... Un second râle jaillit sous nos pieds, alla mourir au milieu du silence...
Au loin, une flamme courte, haletante comme une poitrine à bout d'haleine, glissait parmi le nuit, Tantôt elle s'écrasait à ras du sol, s'amincissait à ne devenir qu'un rais brillant; tantôt elle s'enflait, s'élargissait pareille à une voile marine gonflée de brise... et après un coup d'arrêt, partait en une ronde éperdue... Une autre s'alluma... puis une autre... puis cinq... dix... cinquante... un millier... un vertige de flammes qui se mirent à danser une sarabande échevelée...
Tout à coup, comme obéissant à un signal magique les flammes s'arrêtèrent et se disposèrent en un cercle immense... Au milieu d'elles, une eau verte apparut, et peu à peu, à l'entour, sortant de la nuit, indécise d'abord, puis fort distinct, des blancheurs se muèrent en autant de tombes... Chose étrange ! Je reconnu immédiatement le petit cimetière de campagne où, sous des pierres gravées d'épitaphes, reposent les défunts de ma famille. Le cercle lumineux se disloqua et chaque feu-follet s'en fut au chevet de chaque tombe mettre la tremblante lueur d'une veilleuse blême !...
Puis, un grand souffle passa et tout sembla s'engouffrer dans les plis des ténèbres : une lumière diffuse, pareille à une gigantesque écharpe pâle, seule stagna au-dessus du cimetière anéanti, et fixa au milieu de l'eau verte un reflet d’œil mort.
Cette eau glauque se rida, frissonna d'ondes dont l'ampleur s'accentua peu à peu, et tout d'un coup tourbillonna, secouée d'un remous fou... Un trou noir en forme de cône renversé se creusa au milieu. L'écharpe de lumière s'opalisa davantage.
Brusquement alors, deux pattes, deux longues griffes jaillirent du gouffre conique et s'agrippèrent aux bords liquides qui résistèrent comme soudainement changés en glace, deux pattes horribles d'araignée monstrueuse, crochues, poilues, maigres, féroces...
Les deux pattes hissèrent derrières elles une chose hideuse, et énorme, qui tenait à la fois du crapaud et de la pieuvre et qui se dressa sur deux autres paires de tentacules pareillement terribles.
Le tout, sur l'eau où il se mit à se mouvoir lentement, forma un monstre de cauchemar et d'épouvante. Il se tourna vers moi... alors seulement je vis ses yeux... et ce furent les yeux de la japonaise que je reconnus... les yeux étranges aux lueurs de jais pur : les yeux qui m'avaient amené là.
Là-bas, la bête sinistre, ses regards dans les miens, venait droit à moi; et malgré l'effroi fou qui me pantelait le cœur, je demeurai à l'attendre, subjugué par un charme infini.
L'eau verte s'était élargie et son onde rigide venait mourir à mes pieds. Sur sa surface immobile, le monstre par grandes enjambées, pataudes, approchait... Et soudain, il fut devant moi à quelques pouces... Campé sur ses hautes pattes, il resta un moment dans une attitude de crabe gigantesque pétrifié... puis avec une lenteur de grue qui soulève un fardeau, il haussa un de ses tentacules, m'en effleura le visage et violemment l'agrippa au niveau de mon cœur... Je sentis ses ongles acérés m'entrer dans la poitrine en même temps qu’une douleur atroce courait jusqu'aux tréfonds de mes moelles... Le charme s'évanouit... et je perçus un hurlement de terreur issu de ma bouche... Je tombai !... Maintenant je me souviens plus... On me ramassa le lendemain, parait-il, avec un poignard fiché entre les côtes.
J'eus le clé du mystère plus tard : Un Russe entré comme moi presque par hasard dans la même fumerie avait pu, au dernier moment, ressaisir sa volonté que les yeux hypnotiques de la Japonaise subjuguaient, et voyant le danger, assommer à demi d'un formidable coup de poing la propriétaire des captivantes prunelles noires... Et devant la police de son pays, celle-ci avoua de faire partie d'une bande de détrousseur de grands chemins qui avaient trouvé le moyen ingénieux de faire hypnotiser les riches étrangers pour les assassiner et voler.
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