L'écriture est un art que le lecteur assidu consomme sans modération à condition que le breuvage proposé en possède les vertus gustatives
suffisantes. Dans cette jungle éditoriale où les auteurs doivent souvent jouer des coudes pour arriver à s'affirmer, il faudra toute la pugnacité de l'amateur de grand millésime pour extraire l'objet
de ses convoitises, en occurrence un ouvrage capable de retenir son intérêt non seulement par sa qualité d'écriture, mais aussi et surtout, par son originalité. Bon nombre de romans nous tombent
littéralement des mains et pour moi le signe annonciateur d'un excellent roman, est sa capacité à me maintenir éveillé après une dure journée de travail et de devoir le reposer avec regret en raison
de l'heure tardive en sachant que le lendemain la journée s'annonce encore plus difficile. Il y a des livres qui se présentent comme une récompense, friandise de papier que notre esprit va absorber
comment autant de glucose qui vient calmer notre organisme en manque d'énergie. Tenir le soir entre les mains un excellent roman, c'est presque une expérience sensuelle, l'annonce d'un agréable
moment où tous nos sens s'abandonnent pour notre seul et unique plaisir.
Lire, c'est pénétrer dans un univers différent à chaque ouvrage, un voyage immobile qui nous transporte et nous permet de nous sortir de notre quotidien, c'est partager des sensations, des émotions
et de vibrer sur le même tempo que son auteur, une sorte de communion où les mots sont en résonance parfaite avec notre horloge interne comme si le temps à l'extérieur s'était arrêté pour que nous
puissions vivre pleinement toute la magie des mots : la lecture, c'est aussi le « Ici et maintenant » !
L'ouvrage responsable de cette osmose, c'est d'abord un titre : « Je suis le sang » et une couverture illustrée par Thomas Agnellet qui se partage le rouge Carmen et le noir. Déjà, nous sommes dans
une zone de ténèbres, couleur sang coagulé, frontière entre cette vie d'un vif éclatant et la mort d'une glaçante noirceur. Ce roman, c'est avant tout un contexte historique, un tournant dans
l'histoire entre les relents d'un passé où la misère était l'apanage d'une grande majorité de la population et un progrès naissant qui commençait à montrer le bout de son nez dans ce brouillard
chargé de suie de la future révolution industrielle. C'est une époque qui fascine, car elle est le terreau de bien des mystères et de choses horribles, le laboratoire idéal de toute une génération
d'écrivains qui y trouvèrent les ingrédients essentiels pour y façonner une multitude de monstres et d'abominables créatures. Une époque qui transpire le mal, suinte la misère, et dans ces effluves
méphitiques de mort au relent métallique du sang de ses enfants qui l'abreuve, les auteurs nous y ouvrent une fenêtre obscure nous conduisant aux portes d'un enfer à échelle humaine. En reprenant
pour modèle tout un aspect de l'époque victorienne Ludovic Lamarque et Pierre Portrait font non seulement revivre avec une grande intensité une période qui se prête à la dramaturgie d'une époque
fascinante, mais également pousse leur imaginaire jusqu'à leurs derniers retranchements pour réécrire une histoire ayant défrayée la chronique des bas-fonds victoriens. Toute la force du roman est
d'avoir écrit une histoire dans l'histoire en se faisant croiser des personnages historiques avec toutes ces ombres insignifiantes qui par leur humanité et leur substance vont donner une épaisseur à
une histoire cruelle et tragique.
En usant avec habileté de certains vides que parfois nous laissent les chroniques de l'humanité, les
deux auteurs, par un brillant jeu de miroirs parviennent à nous envoyer le reflet déformé et troublant de certains mythes dont on ignore l'essence même : mais de quel côté du miroir nous trouvons
nous vraiment ? User du charisme du tueur le plus emblématique de l'humanité en le prenant pour modèle afin de concevoir l'un des personnages le plus fascinant de la littérature fantastique, voilà un
défi que bien peu oseraient relever !
Bram Stoker, régisseur d'un théâtre dont la popularité s'envole grâce au roman de Stevenson « DrJekyll et Mister Hyde » cherche à prendre de la distance envers son despotique employeur. Il veut
rédiger un grand roman gothique qui sera son œuvre ultime. Il trouve son inspiration en la personne de Dragan, énigmatique individu qui se voudrait acteur, mais dont le terrible accent le prive de
tout espoir. Son talent, il l’exprime par la réalisation des magnifiques costumes qu’il confectionne pour le Lyceum et par un tout autre vice rapidement découvert par Stoker : tueur en série !
Mais désire-t-il sincèrement le cacher à l’auteur ? Il passe un marché avec lui, en échange de son « Modus Operandi », il exige en retour l’écriture de ses « mémoires ». Il désire par
dessus tout que l'on reconnaisse son génie, peu importe s'il est l'incarnation du mal personnifié. Il sera ainsi l’acteur de sa propre pièce,écrite pour et par lui et rédigée en lettres de sang
!
Bien vite Stoker va être dépassé par l’ampleur du personnage et réaliser qu’il affronte le diable en personne et qu’il lui faudra payer un lourd tribu afin de s’acquitter de sa dette.
Tout dans ce roman est d’une noirceur palpable, mais d’un noir à la ténébreuse beauté, tableau magnifique et envoûtant, parsemé de ces nombreux éclats d’un rouge vermeil comme autant de drames qui se
jouent à l’abri du regard du commun des mortels. C’est un drame qui affecte les petites gens, des filles de joie qui luttent pour leurs survies et qui vont être frappées d’une horrible façon comme
pour les faire expier d’une faute dont elles ne sont pas coupables. Oui, c’est une belle histoire de mort d’amour et de vie que les auteurs nous racontent là et dans le parcours chaotique que va
effectuer le futur auteur de Dracula, nous prenons la pleine mesure d’une époque cruelle et impitoyable dans une ville tentaculaire renfermant bien des drames. C’est la visite d’une capitale que
j’avais esquissée lors de la lecture d’un ouvrage « Les bas-fonds victoriens » et qui par le biais d’un roman original et puissant me replonge dans un univers suintant et glauque, berceau de toute
une littérature qui fera date dans l’histoire. En prenant quelques libertés sur les origines de ce chef-d’œuvre du fantastique, ils reviennent aux sources du personnage en jouant avec habileté sur le
hasard des rencontres, les situations insolites, les lieux étranges et les individus ternes ou hauts en couleur jalonnant le parcours de cette sanglante odyssée.
Nul doute que le duo doit avoir une excellente connaissance de cette époque trouble et attirante pour les lecteurs que nous sommes, car ils abondent en détails passionnants, acteur/voyeur de ce drame
qui oscille entre tragédie, roman policier et fantastique et qui trouve une réelle puissance dans les rapports entre les différents protagonistes. Tous ont une véritable épaisseur, notons la présence
très appréciable d’Oscar Wilde, une consistance permettant de se prendre au jeu de cette gigantesque pièce de théâtre orchestrée d'une main de maître par un personnage, avouons le sans honte,
terriblement hypnotique.
Dans la littérature de genre peu d’auteurs
réussirent ce pari un peu fou, car très vite casse-gueule, de mêler avec autant de finesse et de logique, une telle accumulation d’indices, de détails et d’éléments parfois somme toute aussi
insignifiants et de parvenir à magnifier un roman d’une logique et d’une cohérence atteignant une telle perfection.
Comme vous devez vous en douter avec la teneur d’un tel fil conducteur l’ensemble du roman baigne certes dans une ambiance de douleurs et de sacrifices, pourtant lors d’un ultime chapitre intitulé «
Mary Kelly » (les auteurs choisissant le nom de toutes les victimes pour baliser les différentes parties de cette œuvre au noir) il y a comme une sorte de répit, une histoire d’amour impossible entre
l’homme de bonne famille et la prostituée, venant apaiser le rythme du récit jusqu’alors d’une noirceur confondante. Un chapitre où les auteurs vont sublimer leur approche de ce nouveau mythe qui
commence à prendre forme dans l’esprit chaotique de Bram Stoker. Poussé par cette passion qui le ronge et qu’il ne veut avouer, Mary sera son égérie son inépuisable source d’inspiration et lors de
passages mémorables où peu à peu sa créature de floue devient de plus en plus distincte, préférera-t-il son incommensurable soif d’écrire au profit d’une relation qu’il veut se persuader vouée à
l’échec. Cette dernière partie, probablement à mon sens la plus extraordinaire de tout le roman, nous livre toutes les facettes d’un homme rongé par la culpabilité d’être passé à côté de sa vie
d’époux, mais conscient que ce sera le prix à payer pour arriver au terme de sa longue quête. Au final, on nous révèle les facettes d’un homme égoïste, jalousant ses confrères et auteurs de renoms,
complètement obsédé et hanté par le chef-d’œuvre de sa vie et en ce sens on le sent assez proche du tueur dont l'ambition n'est rien de moins que d'être reconnu par son public. Un homme enfin
condamné probablement à se repentir toute sa vie, car frappé d’une malédiction, celle d’avoir regardé en face le diable en personne et d’avoir voulu pactiser avec lui.
Je ne peux donc que vous recommander la lecture de ce roman dans la pure tradition gothique, mais avec une touche d’une grande sensibilité. Écrit avec intelligence et talent, il vient ici nous
apporter la brillante preuve que la littérature de l’imaginaire n’est pas prête en France à s’essouffler et que les plus grands mythes peuvent puiser leur origine bien au-delà du seul territoire
britannique. Bravo aux éditions « Les moutons électriques » pour cette extraordinaire découverte.Il fallait une bonne dose d’ingéniosité et de classe pour arriver à faire se côtoyer deux
personnages aussi sanguinaires, messiers le pari est réussi, chapeaux bas …....avec un haut de forme of course !
« Je suis le sang » de Ludovic Lamarque et Pierre Portrait, Éditions « Les moutons électriques » Couverture de Thomas Agnellet
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