Depuis de nombreuses années, Xavier Mauméjean a le don de nous transporter dans les méandres de son puissant imaginaire, et au travers d'une plume inspirée au style si parfait qu'il pourrait rivaliser sans problème avec les lauréats de nos prestigieux prix littéraires, il possède cette puissance du verbe qui nous fait non seulement voyager, mais fantasmer diverses époques de l'histoire des hommes où figures mythiques et personnages imaginaires se croisent pour notre plus grand plaisir. Ainsi, après un sublime « Vénus anatomique » à marcher aux côtés de Vaucanson, un poétique « Ganesha » et son émouvant John Mérrick, un vertigineux « Liliputia » et son tristement célèbre parc de nains de « Dreamland » à Coney Island, pour suivre les traces toutes pleines d'humour de son « Kafka à Paris » ( et ce n'est là qu'une faible partie de sa production) , nous voici plongé dans son dernier ouvrage au cœur d'une ville aux multiples visages : New York !
Tout comme son précédent ouvrage, toujours publié aux éditions Alma, Xavier nous plonge dans les entrailles d'une cité tentaculaire au puissant pouvoir attractif, véritable entité vivante dont les habitants plus que simples spectateurs en sont les véritables acteurs, globules à échelle humaine participant à générer sa force vitale :

« Une formidable énergie animait la ville, Harry la ressentait à tout instant. Théo avait lu dans une revue que les mégapoles influençaient en profondeur leurs habitants. La structure en béton des immeubles raffermissait le caractère, les fumées d'usine se mêlaient à l'éther des rêves. Même le réseau d'égouts, qui charriait les immondices comme une longueur d'intestins, entretenait l’hygiène physique. La ville prenait soin de la foule à condition que celle-ci se conforme à ses vues. Un peu comme la nature qui façonne chaque espèce, l'obligeant à s'adapter ou à périr. »

Ainsi ce ne sont pas deux personnages principaux qui vont prendre part à cette formidable aventure, mais bien trois car la mégapole bien au delà du simple décor , devient par son passé et son histoire chargé de toute la mémoire de ceux qui l’édifièrent, un acteur à part entière. Et quels personnages les amis !
Suite à la disparition de son fils Stuart, le richissime Cyrus Vandergraaf charge le célèbre escapologue Harry Houdini de retrouver la trace de son rejeton, architecte de son état. Comme l'homme est prudent de nature, la seule condition pour mener à bien son enquête,sera de s'adjoindre la participation d'un homme dont les théories provoquent un violent séisme dans le milieu médical : Sigmund Freud !
Commence alors une course-poursuite palpitante au cœur d'une ville qui cache bien des secrets et si la puissance d'analyse du célèbre psychanalyste sera d'une utilité non-négligeable, l'homme dont aucune serrure n'a de secrets se révélera bien plus perspicace qu'il n'y paraît.
Il fallait tout le talent d'écriture de l'auteur afin de constituer cet extraordinaire liant qui fera de cette histoire autre chose qu'une simple enquête policière mais une plongée dans les abîmes du subconscient, coffre fort à l'hermétisme parfait, qui une fois ouvert, telle la boite de pandore , laissera échapper des secrets lourds de conséquences. Du talent, mais aussi de l'audace, car, comme vous pouvez vous en douter, un abîme sépare ces deux célèbres figures de l'histoire. Quoi que......
Dans cet ouvrage pouvant se lire à plusieurs niveaux, Xavier Mauméjean nous prouve une fois de plus, toute l'aisance qu'il possède à se jouer des intrigues classiques et l'on devine bien sous le vernis de l’imaginaire, non seulement un inconditionnel du roman à énigme, mais un homme d'une grande culture maîtrisant parfaitement le sujet abordé.Car voyez-vous, la règle, et ce dans n'importe quel genre que l’écrivain va aborder, c'est le respect du lecteur et donc des informations qu'il va nous livrer avec certes un part d'imaginaire, mais surtout des éléments bien documentés afin que le récit ne s'affaisse pas comme un vulgaire soufflet. Nul doute alors qu'il est passé maître dans l'art du roman policier en construisant son récit de manière intelligente et addictive en jouant avec brio sur l'un des éléments clef du roman : la psychologie des personnages.
Certaines figures que vous allez y rencontrer sont charismatiques, détestables, fascinantes ou intrigantes et c'est ce qui fait également la grande force de ce roman, un juste équilibre des choses, du mystère délivré au compte goutte en passant par un attachement progressif aux personnages et une plongée immersive dans ce New-York début de siècle qui à l'image des théories de Freud nous hypnotisent, tout est matière à plaisir. Une ville où se croise des hommes avides de pouvoir, des hommes d'affaires véreux, d’implacables truands, des policiers peu perspicaces, des hommes et des femmes de cœur, le prestige et la misère..... En évoquant des figures mythiques comme Buster Keaton, H.P.Lovecraft, l'agence Pinkerton, en se référant au passif d'une cité riche d'une histoire mouvementé et de ses célèbres guerres de gangs (évocation des « Five-Points ») , en abordant toutes les couches de cette société américaine balbutiante, déjà évoquée lors de précédents romans, nul doute que Xavier Mauméjean est parvenu à trouver le ton juste pour emporter son lecteur dans le conscient et l'inconscient des différents acteurs de cette immense tragédie. Car c'est un roman où tout le monde joue un double jeu où tout n'est qu'illusion où toutes les apparences sont trompeuses et si à l'image de ce gigantesque coffre, fort de plusieurs niveaux délivrant à chaque étape de nouveaux mystères, les hommes chargés d'y pénétrer portent tous des masques, car ils sont tous victimes de ce fléau que cette société moderne nous inflige : donner l'illusion. Pour certains, ce sera l'occasion d'affirmer leur perversité et pour d'autres le moyen de se mettre à nu et de l’utiliser de manière inconsciente comme une thérapie.
Le final est brillant mené avec maestria et nous rappelle à quel point nous portons tous des masques et que nous nous efforçons de ne laisser paraître de notre personnalité uniquement ce que nous désirons que les autres veulent voir en nous.
Un pur moment de grâce littéraire, un jeu de construction puissamment élaboré,avec toute la simplicité et le talent que peu d'auteurs peuvent revendiquer et l'on se plaît, après Kafka à Paris, Houdini et Freud à New York, espérer peut-être l'évocation d'une autre ville tout aussi fascinante et pourquoi pas le périple imaginaire d'un Jean Ray à Londres à la recherche d'un certain Harry Dickson.

Un grand merci aux éditions Alma de nous faire don du savoir faire de ce merveilleux écrivain

« Jadis, lorsque Mahattan et les îles alentour appartenaient aux Iroquois, il s'y pratiquait une forme de magie. Certaines nuits, les guérisseurs revêtaient un masque sculpté dans un arbre vivant, afin d'invoquer les esprits. Une sorte de rituel curatif, un peu comme vous, professeur. Les membres de l'assemblée étaient des hommes, mais le gardien des masques était toujours une femme. On appelait cela la société des faux visages »

« La société des faux visages » de Xavier Mauméjean, Editions Alma Avril 2017