Depuis quelques années maintenant, je suis avec fébrilité les parutions de notre ami Brice Tarvel et je dois dire que si sa production a toujours été d'une qualité constante, cet ami des territoires de l'imaginaire ne cesse de m’émerveiller au fil de sa production. Non seulement l'homme possède une patte identifiable entre toutes , mais il a en plus le bon goût de ne pas nous resservir la même chose à chaque fois et si l'adage populaire nous confirme que c'est dans les vieilles marmites que l'on fait les meilleures soupes, non seulement le poids des âges ne semble nullement l'affecter, mais il possède en outre ce lustre, cette patine du temps qui donne à cette nourriture diabolique qu'il sait si bien nous préparer un goût , dieu me pardonne, de félicité ! Je vois notre ami comme un immense garde manger qui depuis son plus jeune age collecte des plantes introuvables, des épices disparues, des recettes détruites à jamais, et nous redonner cette saveur que nous aurions oublié si, en grand chef étoilé du merveilleux littéraire, il ne nous servait pas de temps à autres un festival gustatif aux fragrances fantastiques.
Brice dompte les mots, les modèles selon son bon vouloir, il sait comment les mettre en forme avec la patience que nous lui connaissons, les apprivoiser, car depuis de nombreuses années, il est parvenu à édifier un langage qui n'appartient qu'à lui seul et si vous lui parlez de fantastique, de fantasy, d'histoires étranges et bizarres, d'un claquement de doigts, il est capable de vous aligner une succession de phrases que seul un maître compteur sera capable de faire : l'ombre d'un Claude Seignolle et d'un Jean Ray, plane avec bienveillance sur cet inconditionnel de l'étrange à l'érudition bien campée ! Lorsque j'avais eu ce gros coup de cœur pour la série en deux volumes de « L'or et la toise » , je savais que nous avions là les prémices d'un univers riche, aux territoires illimités et que l'homme était capable non seulement de se l'approprier, mais d’en faire probablement ce qui sera plus tard l'une des voix les plus originales de la fantasy française. Un univers fantasmagorique qui plus est ,riche de nombreux scénarios de bandes dessinées avec des titres aux promesses tenues : « Mortepierre », « Les contes de Mortepierre » ou encore « Les traînes ténèbres ». De cet aboutissement de toute une vie de passion et d'engagement, à peaufiner son style, à pousser jusqu'à ces extrêmes, la perfection d'un langage parfaitement abouti, en résulte sa toute dernière œuvre dont je viens de terminer la lecture et qui se nomme « Pierre-Fendre ».
Un univers qui se partage entre un moyen-age fantasmé, parsemé de quelques nuances de François Rabelais, d'un soupçon de Jérôme Bosch et surtout, surtout de beaucoup de talent doublé d'une faconde inimitable. Ce roman est un véritable ovni littéraire, tant pour l'originalité de son histoire que pour la façon dont il parvient à créer une ambiance, basculant de situations cocasses en passages poétiques où il nous livre des visions purement surréalistes d'un monde régi par ses propres lois, son propre fonctionnement, ses règles et ses coutumes. Le roman est un véritable tour de force de par sa cohérence, ses fulgurances descriptives et par le concept même d'imaginer un monde délimité par une immense château/monde, où chaque pays est une saison et qu'un jour, des hommes et des femmes décident de sortir de leur prison de pierre afin de découvrir ce grand dehors ou le ciel est parait-il chargé d'étoiles.

Dans cet univers partagé entre les mondes truqués d'un Philippe K.Dick et les territoires cauchemardesques d'un Serge Brussolo, mais nous arrêterons là, car Brice est parvenu à créer son propre univers, les protagonistes décident de traverser Viridis, Feuille-séche , Chaloir et de se rendre à Pierre-Fendre, réveiller la sommeilleuse qui est la seule à pouvoir démolir les murailles/rêves dans lesquelles ils sont emprisonnés. Mais leur périple va être semé d’embûches insoupçonnables, les personnages vont faire d'improbables rencontres, affronter d'étranges créatures pactiser avec des êtres repoussants, explorer des contrées où nul homme n'a jamais osé s'aventurer : des hautes murailles du château, domaine des fouisseurs, aux profondeurs de ses souterrains où se terre un étrange mal, la route va être longue et périlleuse !
Toutes les qualités d'une écrivain se jugent au potentiel qu'il possède à se renouveler, à sortir du cadre confortable dans lequel il excelle le plus, et en ce qui concerne Brice, c'est un homme qui aime prendre des risques en nous proposant des univers que nul auteur avant lui n'avait jamais oser explorer. « Pierre-Fendre » est sans nul doute le choc littéraire de la rentrée en ce qui concerne l'imaginaire français dans le sens le plus large du terme, réunissant à la fois l'inventivité, la richesse du langage et un don inimitable de nous plonger au cœur de son territoire, fait de poésie, de malice, de brutalité et d'une fantaisie qu'il est le seul à pouvoir nous offrir. Les amateurs du genre reconnaîtrons sans aucun doutes les petits clins d'oeil que l'auteur envoi de temps à autres ( Elven de Champdorge, le chat Chastragnette , Rob de la Grange …..) mais c'est pour mieux nous mettre en confiance et nous emmener, au gré de contrées à la beauté époustouflante , vers un final étourdissant à la mesure de l'histoire proposée.
Oui, Brice est un écrivain hors norme, dont le talent est à la hauteur du personnage, chaleureux, généreux, plein de malice et de bienveillance.
Probablement l'un de ses romans le plus abouti en terme d'écriture et d'originalité, enveloppé dans un merveilleux écrin sous la houlette des « Moutons électriques » et du bon goût de son fondateur, André-François Ruaud qui vient de nous proposer une fois de plus une sublime couverture de Melchior Ascaride, qui, sous croisements d'escaliers à la Piranése, habille cet extraordinaire roman de « Fantasy à la Française » de ses plus beaux atours. Mention spéciale pour la mise en page , leurs ouvrages sont à chaque fois un plaisir à admirer et manipuler.
Depuis quelques années l'imaginaire français est en pleine explosion, les voix se font nombreuses et il n'est que justice de leur rendre hommage par des paroles d'encouragements et de leur témoigner toute notre gratitude et notre admiration. Merci aux écrivains et aux éditeurs, fiers de vous connaître !