"Les découvertes de demain"
« Ce que sera une rue de ville dans cinquante ans » : Les rues seront, dans un demi-siècle, non seulement bien différentes de ce qu'elles sont maintenant, mais aussi bien différentes de l'idée qu'on se fait généralement des villes futures. La verdure y sera répandue à profusion, car la science de l'hygiène aura elle aussi fait des progrès, et l'air pur y circulera parmi les installations électriques, les terrains confortablement aménagés, les maisons tournant avec le soleil...
En exhumant cet article paru dans la très célèbre revue « Je sais tout » et datant du 15 Mars 1905 ( Numéro 2), je voulais vous monter une fois de plus, qu'en matière de prévisions et de spéculations, nos illustres ancêtres avaient une bonne dose d'imagination. Même si certaines « inventions » prêtent à sourire, force est de constater que certains projets ne manquent pas de charme et si, sur le papier certaines peuvent nous séduire, il faut avouer qu'à l'heure actuelle nous sommes loin des résultats escomptés.
Pourtant, le lecteur attentif ne manquera pas de remarquer quelques audaces incroyables en matière d'hygiène, de transport et de communication, même si cette dernière fait plus appel à une technologie provenant en droite ligne des romans d'un certain Albert Robida. Il faut également saluer la prise de conscience de l'auteur (dont il m'a été impossible de relever l'identité) sur le point délicat et très problématique des nouvelles sources d'énergie. Il faut dire qu'à l'époque le signe du progrès consistait avant tout chose à une évolution basée sur la source électrique.
Cet article met en évidence une certaine foi en la science et l'auteur avec une verve relativement optimiste pour ne pas dire naïve, espère un bouleversement total de nos habitudes et de notre mode de vie. Il aurait été souhaitable, à moins qu'il n'ai survécu jusque là, qu'il constate par lui même que certes la science à évoluée, mais pour assouvir l'esprit de domination de l'espèce humaine, en utilisant son génie créatif à des fins autres que pour le bien de l'humanité. Cet article rentre dans les fameuses rubriques ainsi définies « Chaque numéro de « Je sais tout » est divisé en 9 grandes rubriques qui embrasent l'ensemble des connaissances humaine et des événements universels ». Ainsi La première rubrique intitulée « Science et nature » dans son numéro 1 fut consacrée à « La fin du monde » et rédigé par Camille Flammarion (passionnant et illustré par de superbes compositions de H.Lanos). Suivront d'autres articles forts instructifs qu'il nous sera peut-être possible de découvrir dans les pages de ce site.
Toutes les magnifiques compositions qui accompagnent cet article furent réalisées par H.Lanos
Les Découvertes De Demain
On peut s'attendre de la part de la Science à la réalisation de tous les miracles, et il n'est pas possible de prévoir tout ce qu'elle nous donnera. Du moins, peut-on envisager les découvertes qui sont en voie d'accomplissement, les découvertes de demain, et se figurer, moins avec de l'imagination qu'avec de la logique et du bon sens, les modifications qu'elles amèneront, d'ici une cinquantaine d'années au plus, dans le bien-être et la vie sociale de l'humanité. Pittoresque rêve que nous rêvons et que nos enfants vivront.
De tout temps, une instinctive curiosité, faite de je ne sais quelle nostalgie de l'inaccessible, a incité les hommes à se préoccuper autant du futur que du passé, et à essayer de se représenter d'avance ce qui pourrait arriver après eux.
Mais c'est surtout depuis que avènement de ce qu'on peut appeler la période scientifique, qui ne date guère que du XIXe siècle, a révolutionné l'univers et légitime, par une véritable explosion de merveilles, les plus audacieuses hypothèses, que les spéculations de ce genre ont pris définitivement l'essor, comme si, en vérité, elles traduisaient un état d'âme universel. Il suffit, au surplus, de rappeler les noms de Jules Verne, d'André Laurie et de Wells pour montrer quelle hauteur de vues et quelle popularité peut parfois atteindre cette littérature.
Malheureusement, presque toutes ces prophéties, en dépit (ou à cause) de leur ingéniosité, présentent un vice commun qui est de faire une part trop grande à la fantaisie et de tourner rapidement au mythe ou au roman- feuilleton. Il ne saurait en être autrement quand on envisage un avenir trop lointain pour pouvoir être rattaché par un fil solide aux certitudes du présent. Opérant ainsi dans l'inconnu, force est bien de lâcher la bride à l'imagination, aux dépens de la probabilité, et de réduire la thèse scientifique à n'être plus que l'assaisonnement de la fiction.
C'est à un tout autre point de vue, plus modeste, mais moins illusoire, que je voudrais me placer. Mon ambition se borne à essayer de pronostiquer les progrès immédiatement réalisables, quoique non encore réalisés, ceux qui, en un mot, sont « dans l'air » et s'annoncent comme le complément logique des progrès actuellement accomplis.
Comment iront les choses dans un demi- siècle, mettons pour préciser une date, vers 1950, ce qui ne fait que quarante-cinq ans? Il est permis de penser que la majorité de mes lecteurs auront la possibilité de vérifier par eux-mêmes si j'avais deviné juste. Quarante-cinq ans, au demeurant, n'est-ce pas plus que suffisant pour transfigurer la face du monde?
Je n'ai point, bien entendu, l'outrecuidante précaution de tout dire, ni d'éclairer tous les points obscurs. Il est, par exemple, certaines découvertes qui échappent, par leur nature même, à toute prévision. Ce sont celles qui éclatent à l'improviste, presque sans préparation, comme un coup de tonnerre dans un ciel serein : témoin, par exemple, la découverte des rayons X, et celle de la radio-activité. Il n'est point impossible que quelque Rœntgen ou quelque Curie mette inopinément la main sur une force encore inconnue, sur un élément insoupçonné, dont la possession transformerait du jour au lendemain les conditions essentielles du travail et de la vie. Mais les trouvailles de ce genre comportent une telle proportion d'imprévu que je préfère confesser d'avance mon impuissance à leur endroit. Il va de soi que mon effort divinatoire se limitera aux grandes lignes, au dessin général, en négligeant les détails, qui auraient pourtant leur importance.
La science enrayera les grandes disettes vers lesquelles s'achemine l'humanité.
La première question qui s'impose à l'esprit est celle de l'alimentation, à laquelle toutes les autres sont nécessairement subordonnées. Il s'en faut qu'elle soit aussi oiseuse qu'elle peut en avoir l'air aux yeux des observateurs superficiels ou des professionnels de l'optimisme. William Crookes n'a-t-il pas soutenu naguère que tout au moins les populations qui se nourrissent de blé (le tiers de l'humanité, à vrai dire, et le tiers le plus intéressant pour nous, puisque nous en sommes) étaient menacées d'une inéluctable disette? Heureusement, Crookes avait exagéré. Tout d'abord, la superficie des terres fertiles est, en réalité, beaucoup plus étendue qu'il ne l'avait cru. Mais ce n'est là que le petit côté de la question.
On a pu affirmer que la France, à elle seule, était capable de nourrir sur son propre fonds, cent millions d'habitants. Or, ce qui n'était jusqu'ici qu'une théorie platonique ne va pas tarder à entrer dans la pratique courante. L'industrialisation de l'agronomie, si empirique et si rudimentaire encore, le perfectionnement indéfini des machines et des procédés agricoles, la collaboration des chimistes et des électriciens, l'irrigation méthodique, la sélection rationnelle des semences, la substitution surtout de la culture intensive à la culture extensive auront tôt fait d'accomplir ce miracle, sous les espèces de récoltes monstres, cinq ou six fois supérieures aux misérables moyennes de 12 à 18 hectolitres à l'hectare escomptées par W. Crookes.
La terre, en d'autres termes, sera un instrument docile et souple entre les mains de l'homme, qui la façonnera à sa guise, au lieu d'être son esclave et de subir sa loi. Son rendement sera devenu indépendant de son exposition, de sa fertilité naturelle, voire de son étendue.
Point même n'est besoin de rêver de méthodes extraordinaires. Il aura suffi d'appliquer systématiquement à la grande culture les procédés qui permettent à certains maraîchers de produire des centaines de tonnes de légumes à l'hectare. C'est que, positivement, ceux- là font leur terre, dont ils règlent à volonté non seulement la teneur en sels minéraux et en sucs fécondants, mais l'état physique, la température, l'hygrométrie. Ils la font si bien que son niveau s'exhausse chaque année de deux ou trois centimètres, et qu'ils l'emportent avec eux, tel un meuble, quand ils déménagent.
On finira par comprendre que ce qui réussit pour les choux et les carottes, les asperges et les tomates, peut aussi bien réussir pour les fourrages et les céréales, dût-on y mettre les mêmes soins minutieux qu'en horticulture, et faire intervenir les châssis vitrés et les thermosiphons, sans parler de l'électricité atmosphérique, tellurique ou industrielle, statique ou dynamique, sous forme de courants, d'effluves invisibles ou de rayons lumineux. Les capitaux, les intelligences et les bras s'étant, de force ou de gré, orientés de ce coté, chaque champ sera organisé comme une usine machiné comme un décor de féerie, ou plutôt comme un laboratoire.
L'agriculture s'affranchira des servitudes météorologiques elles-mêmes. Maîtresse du sol et de la température, elle le sera de la production végétale, dont elle aura appris à discipliner les exigences géographiques. Pas plus pour le blé que pour les primeurs ou les lilas, il n'y aura plus de latitude, ni de saisons. Peut-être, en 1950, n'aurons-nous pas encore atteint cet âge d'or où, dans l'agriculture comme dans l'industrie, l'art se sera substitué partout à la nature, mais nous en toucherons le seuil, et le meilleur des efforts de l'humanité laborieuse convergera vers ce but.
En 1950, l'homme sera en grande partie maître des variations atmosphériques
Faute de pouvoir encore gouverner souverainement les caprices du ciel et de l'atmosphère, nous saurons au moins les prévoir, dans une certaine mesure, et prendre nos dispositions en conséquence. C'est que les travaux de Norman Lockyer, de Zenger, de Th. Moreux, sur les taches du soleil et leur influence sur les vicissitudes terrestres, en fonction des latitudes, de l'exposition et du relief du sol et de la configuration des continents, auront porté leurs fruits. On pourra connaître à l'avance, au moins dans les grandes lignes, le temps qu'il fera, et, suivant les circonstances, se mettre sur la défensive ou prendre l'offensive contre les intempéries annoncées. Grâce à un système de paratonnerres conjugués recouvrant la campagne, hérissée de hautes pointes métalliques, formant une sorte de cage de Faraday, on écartera les orages, en soutirant en douceur l'électricité atmosphérique. Toute une artillerie pacifique, commandée par un réseau de stations de télégraphie sans fil, avec accompagnement de projectiles gazeux et de cerfs- volants ou de ballons bondés d'explosifs, sera chargée tour à tour de provoquer la pluie ou de dissiper la grêle. On préviendra de la même façon les gelées nocturnes, à l'aide des nuages artificiels provenant de bûchers dont l'allumage se fera automatiquement par l'intermédiaire de thermomètres à renversement. La protection des récoltes sera devenue un véritable service public, comme l'entretien des routes. Il n'est pas jusqu'aux cyclones, qui, dans les régions exposées à ce fléau, ne trouveront sur leur chemin les pièges détonants dont l'idée première appartient à Turpin.
Les climats les plus extrêmes auront du reste singulièrement perdu de leur hostilité. Je doute qu'on ait encore réussi, comme le proposa jadis Babinet, à canaliser le Gulf Stream, mais, par contre, l'habitude se sera inaugurée d'amener à la remorque des régions polaires d'énormes glaces flottantes jusque dans nos ports et nos rivières et de les y laisser fondre lentement, histoire de rafraîchir l'ambiance, par les temps de canicule. Le reboisement des montagnes et la mise en exploitation du Sahara et d'autres territoires désertiques, transformés en écu- moires aquifères par d'innombrables puits artésiens, parsemés d'oasis artificielles, recouverts d'eucalyptus, de casuarinas, de tamaris, etc., auront d'ailleurs suffi à régulariser le régime des eaux et à rétablir l'équilibre climatérique universel.
Comment, dira-t-on peut-être, réaliser de tels miracles? Comment, surtout, asservir la force végétative, si, comme l'a prédit M. Crookes, l'azote vient à faire défaut ?
La réponse est facile. Avant que les gisements inexploités des nitrates du Sahara et de l'Adrar, dont Jacques Lebaudy aura été l'un des premiers à pressentir la richesse, aient achevé de s'épuiser, il y aura bel âge qu'on aura créé tout le long des découpures du littoral, des kilomètres carrés de goëmonnières artificielles, susceptibles de fournir assez de ce fumier d'algues marines, si riche en azote, pour défrayer les besoins croissants de l'agriculture intensive.
Ce qui n'aura pas empêché de poursuivre parallèlement la culture méthodique des microbes nitrificateurs, et la fabrication, avec leur concours, aux dépens de l'azote atmosphérique, d'engrais tels que la « nitragine » et l'« alinite »...
En vérité, je vous le dis, les plus pessimistes n'auront plus, en 1950, à redouter de manquer d'azote, car ils en auront sous la main, par la grâce de la science, un stock inépuisable.
Sans compter que l'arsenal alimentaire de la famélique humanité se sera singulièrement enrichi d'ici là. Non seulement, l'augmentation de rendement de certains produits, et la création par sélection, croisement et acclimatement, de certaines espèces nouvelles, telles que » la pomme de terre de l'Uruguay « , donnant des 50 et 60.000 kilogrammes de pommes de terre à l'hectare, auront accru ses ressources dans des proportions invraisemblables, mais nombre d'aliments exotiques, les fruits de l'arbre à pain, le taro, les ignames, le manioc, la banane surtout, dont la valeur nutritive est si grande que Stanley l'avait baptisée «la manne de l'avenir», seront entrés dans la consommation cosmopolite. On aura organisé, d'autre part, d'une façon rationnelle et systématique, la pisciculture et la piscifacture, repeuplé nos rivières, attiré, ensemencé, fixé le long des côtes, à côté des homards de Terre-Neuve, les harengs de la mer du Nord, les sardines et les thons du golfe de Gascogne, les morues d'Islande, tout un monde de poissons comestibles.
La chimie, de son côté, ne sera pas restée inactive. Elle n'aura pas encore peut-être franchi l'étape célébrée par Berthelot, après laquelle l'agriculture traditionnelle n'aura plus de raison d'être, toutes les substances alimentaires, solides ou liquides, pouvant être créées de toutes pièces dans le laboratoire, à l'aide d'éléments directement empruntés à l'air et à l'eau.
Elle aura déjà réalisé la synthèse du sucre, de l'alcool, et de la plupart des corps gras, dont la préparation, sans aucun emprunt au règne animal ni au règne végétal, relèvera de l'industrie banale. Elle aura également exprimé la quintessence de la viande, du lait, des œufs, des plantes alimentaires, de façon a faire entrer dans la consommation courante la série des extraits, poudres et sucs supranutritifs, dont la lécithine et la maïsine peuvent nous donner dès aujourd'hui l'avant goût, et réduire ainsi l'encombrement et travail de l'appareil digestif.
Nul besoin d'avoir pâli sur le problème pour pressentir que, dans cinquante ans, notre mode actuel de voyager sembler plutôt barbare à nos héritiers.
Comment les hommes voyageront-ils dans un demi-siècle ?
Y aura-t-il encore des chemins de fer ? Oui, sans doute mais combien transformés La passion de la vitesse n'ayant fait que croître e: embellir, il ne faudra plus pour satisfaire le public d'allures moindres de 200 à 250 kilomètres à l'heure; on ira donc de Paris à Marseille en moins de quatre heures Seulement, ce sera en roulant sur un fil aérien. Les chemins de fer de l'avenir, en effet, seront électriques,suspendus et monorails, sans autre contact avec le plancher des vaches que le pylônes métalliques supportant les câbles conducteurs Nuls obstacles ne les arrêteront, pas même les villes puisqu'ils passeront, le cas échéant, par-dessus. Ils enjamberont également, d'un saut, les fleuves et les bras de mer... Un autre moyen de franchir le Pas de Calais, ou d'autres détroits ,sans craindre le mal de mer, sera le bateau sous-marin, se halant électriquement le long d'un câble immergé.
Cette application des bateaux sous-marins ne sera pas, du reste, leur seul emploi extra-militaire. Ils serviront également à la pèche du corail, des éponges et des perles, au relèvement des épaves noyées, à l'inspection des passes et des fonds, à toutes les variétés d'explorations et d'opérations au-dessous de la surface de l'eau.
Ce seront des chemins de fer économiques, d'un débit énorme, car les départs se succèderont, jour et nuit, à courts intervalles, aussi peu encombrants que possible, voire mobilisables, rien n'empêchant de les déménager à peu de frais, lorsque l'ancien trajet aura cessé de plaire. Ils seront réservés aux correspondances, aux colis postaux, aux denrées altérables, aux voyageurs pressés, a tous les colis, vivants ou non, ayant besoin d'aller vite. Les vieilles voies ferrées sur lesquelles circuleront de véritables maisons roulantes, serviront au transport des marchandises lourdes et qui peuvent attendre, et aussi des gens qui préfèrent le confort à la rapidité.
Entre les stations intermédiaires que des servent aujourd'hui les trains omnibus et les diligences, les communications seront assurées par un système complet de tramways électriques, mais surtout par des omnibus automobiles, électriques, bien entendu. Des voitures automobiles ! Il y en aura partout, jusqu'au fin fond des campagnes les plus reculées...
On créera pour elles des pistes spéciales, comme il y en aura pour les bicyclistes et les piétons. Etablies sur des modèles uniformes, elles seront excessivement simples, et se composeront de pièces interchangeables, faciles à remplacer n'importe où, comme on regonfle un pneu. De telle sorte qu'elles pourront être conduites, ni plus ni moins qu'un moteur à crottin, par le premier venu — l'apprentissage faisant partie intégrante de l'éducation générale — et que la fâcheuse « panne » sera réduite au minimum. Quand au danger de cette circulation intensive, il sera pour ainsi dire nul, toutes les voitures étant réglementairement munies d'un appareil avertisseur, signalant, proprio motu, les excès de vitesse, et même y mettant un terme d'autorité, toujours automatiquement, en actionnant les freins, au-delà d'un maximum déterminé. Il va de soi, d'ailleurs, que toutes les routes étant goudronnées ou pétrolées, ainsi que les rues des villes, la poussière ne sera plus que le souvenir confus d'un mauvais rêve.
La concentration des agglomérations urbaines dépendant de la commodité, du rayon d'action et de la capacité des moyens de transport, vers le milieu du XXe siècle, les villes tendront à devenir tout à la fois plus vastes et moins denses. La mode ne sera plus aux ruches de pierre dans lesquelles s'empilent aujourd'hui les multitudes. On commencera à voir éclore de toutes parts ces « cités-jardins » qu'on expérimente déjà en Angleterre, dont la généralisation ramènera vers la campagne l'exode des populations rurales. Le pays entier ne sera plus qu'une ville immense, ou plutôt un immense parc, semé de riantes villas, entourées d'arbres et de fleurs, avec, par ci par là, des agglomérations« ganglionnaires », où se concentreront les services publics, reliées entre elles par des trottoirs roulants, le téléphone automatique (permettant aux abonnés de converser directement entre eux, sans l'intermédiaire d'aucune « demoiselle »), le téléphote même ou télétroscope, qui leur donnera la possibilité magique de se regarder a distance à travers les murs, dans le blanc des yeux, tout un écheveau de pneumatiques pour les paquets, et de fils, non plus télégraphiques, mais. « télautographiques », les dépêches transmises s'inscrivant à domicile.
Là, les rues seront propres, grâce à la suppression de la poussière, la disparition des chevaux, à l'évacuation des ordures par des émonctoires souterrains où se feront toutes les besognes grossières : peut-être même seront-elles flanquées d'arcades couvertes, où l'on pourra circuler en tout temps. Elles seront saines, car elles seront lavées en permanence avec de l'eau de mer, naturelle ou artificielle, électrolysée, antiseptique, désodorisante et microbicide, dont la distribution à travers les égouts, les éviers, etc. assurera du même coup la désinfection des appartements. Plus de fumées, naturellement, d'abord parce que la consommation du charbon sera devenue presque insignifiante, et parce qu'on aura appris a utiliser en vase clos les moindres produits de la combustion ; plus de vapeurs ni de gaz toxiques; plus de miasmes.
Les maisons futures, merveilles de simplicité et de confort
Bâties à la mécanique à l'aide de machines à maçonner et de gabarits métalliques, les maisons se rapprocheront de plus en plus de l'idéal, du confort et de la salubrité.
Elles seront chauffées et éclairées à l'électricité, qui fournira également la force motrice nécessaire à la manœuvre des ascenseurs et des monte-charges, des machines a coudre et a tricoter, à laver la vaisselle et à cirer les chaussures, des ventilateurs, des balais pulvivores et des appareils pneumatiques poulie nettoyage des tapis. La cuisine s'y fera de même à l'électricité, sans odeur, cendres ni fumées, tandis qu'une circulation, réglable à volonté, d'eau chaude et d'eau froide, voire même, l'été, de gaz réfrigérants, y fera régner une température toujours égale. Pour les maniaques de la microbiophobie, il sera même possible de n'y faire pénétrer que de l'air préalablement filtré et stérilisé, qu'on renouvellera, comme dans les hôpitaux, au moyen d'air artificiel,chimiquement pur, provenant de la dissolution de pastilles aérogènes d'oxylithe, ou d'insufflations d'air liquide. (L'air liquide aura évidemment reçu d'autres applications. Il aura servi surtout à produire l'oxygène à un bon marche tel qu'il s'en sera suivi un véritable bouleversement dans la métallurgie, dans la préparation de l'acide sulfurique, du chlore, de l'ozone, des carbures métalliques, du gaz pauvre, dans la verrerie, l'industrie du froid, etc.)
Beaucoup de ces maisons seront du type dit « héliotropique » : ce qui signifie que, posées sur une plaque tournante, elles pourront être orientées au gré des habitants, de façon à présenter leur façade tour à tour du côté du soleil ou du côte de l'ombre, et a s'abriter contre le vent et la pluie.
Dans les cités-jardins de l'avenir, les conditions générales de la vie se seront modifiées aussi profondément que l'aspect extérieur des choses, non seulement en raison des transformations précitées de l'outillage et de l'aménagement, mais encore et peut-être surtout, en raison de la prodigieuse extension qu'auront pris le phonographe et le cinématographe, et dont se sera engendrée une véritable métamorphose dans des procèdes de correspondance, des méthodes d'enseignement, de la publicité, de la propagande politique ou religieuse, artistique ou commerciale, de la presse et du théâtre.
Je n'ai ni le temps ni l'espace, pour donner a Cette affirmation tout le développement qu'elle comporte, mais il suffit d'y réfléchir un brin, en tablant sur ce qui s'est fait, à ce point de vue, depuis quatre ou cinq ans, pour en avoir une idée approximative. Songer simplement que la voix humaine pourra être fixée et reproduite au moyen de phonogrammes de la taille et de l'épaisseur d'une carte postale, faciles a réunir en volumes, et qu'on pourra évoquer à tout instant, et que le cinématographe, agrémenté de la photographie directe des couleurs, permettra de faire revivre, avec toute la puissance suggestive d'une leçon de choses et d'un spectacle vécu, devant plusieurs milliers de personnes, n'importe quelle page de l'histoire d'hier et de celle d'aujourd'hui et même de demain. Songez que, d'ici dix ans, ces merveilles courront les rues, à la disposition des plus pauvres bourses, obsédant les oreilles et les yeux, et voyez tout ce qu'il pourra en sortir de révolutionnaire ! Reste le point le plus grave. Où prendre la colossale force motrice nécessaire à la mise en œuvre de tant de merveilles ?
Impossible, bien entendu, de compter comme nous 1'avons fait jusqu'ici, sur le charbon. Tout d'abord, en effet, les charbonnages tendent à s'épuiser d'autant plus rapidement que les exigences de l'industrie ne cessent de croître dans des proportions fabuleuses, sans que l'arrivée sur le marché de la houilles provenant des gisements encore vierges de l 'Afrique et de l'Asie puisse combler le déficit. D'ailleurs, au fur et à mesure que le charbon va en se raréfiant, les difficultés d'extraction, les frais de transport, le coût de la main-d'œuvre, en rendront les prix de moins en moins abordables. Force sera donc de la ménager avec soin.
C'est pour cela que les usines à gaz seront installées à la porte des charbonnages, d'où le gaz sera distribue a la ronde, voire même a de longues distances, sous pression, par des conduites souterraines. (L'industrie du gaz existera donc encore, maigre son inutilité apparenter1 Parfaitement! Seulement le gaz d'éclairage, le gaz proprement dit, ne sera plus qu'un sous- produit de l'industrie principale, celle des produits chimiques, matières colorantes, etc.. dérivés du goudron de houille.)
La houille blanche, la houille verte la houille bleue remplaceront la houille noire
D'autre part, l'on apprendra à utiliser de mieux en mieux les forces naturelles, et, en particulier, les forces hydrauliques. Malheureusement, la houille blanche, elle-même, n'aura qu'un temps, comme les glaciers d'où elle procède. On en viendra donc à mettre à contribution la houille verte, c'est-à-dire la force du courant des rivières ordinaires, qui finiront à la longue par être toutes aménagées en vue de la production et de la distribution de l'énergie. On commencera aussi à mettre a contribution, au moins sur certains points privilégiés, la houille bleue, c'est-à-dire la force des marées. Pendant ce temps-la, on verra se multiplier les moulins à vent, ou plutôt les turbines atmosphériques, s'orientant toutes seules dans le sens de la brise, et repliant automatiquement leurs ailes, aussitôt que la rafale dépassera une certaine vitesse à la seconde : ces machines serviront surtout à charger des accumulateurs, autrement dit à mettre de la force en bouteilles. Ce qu'on demandera aux accumulateurs, ce sera d'être robustes et résistants, et d'avoir un débit régulier et constant sous une grande capacité. Il y aura bel âge qu'on aura renoncé à l'utopie décevante, et d'ailleurs inutile, de l'accumulateur ultraléger, qui impliquait la découverte d'un nouveau corps inconnu... et improbable.
On utilisera également la détente des gaz liquéfiés et la déflagration des explosifs dont le nombre et la variété seront bientôt pour confondre l'imagination), sous la forme de chapelets, de pastilles fulminantes, mathématiquement calculées pour développer chacune une puissance déterminée.
Mais la grosse affaire, ce sera surtout l'avènement de la pile thermo-électrique, mettant réellement l'électricité à la portée de tous.
Rien n'empêche de croire que d'ici à quelques années, plus tôt peut-être, un homme de génie ne tourne les difficultés inhérentes à ce problème, à l'aide de subtils procédés physiques et chimiques, et ne mette à notre disposition un corps inédit, facile à trouver partout, facile à travailler, peu fragile et peu coûteux, qu'il suffira de chauffer par un bout, dans certaines conditions, à l'aide d'un procédé quelconque, fût-ce même avec une lampe à alcool, pour obtenir, à flux continu, des courants électriques industriels.
Dès lors, les conditions du travail seront transfigurées, puisque le rendement effectif de la chaleur du combustible sera portée, de 15 %, son maximum actuel, à 85 ou 90 %. C'en sera fait des machines à vapeur, des chaudières géantes et des dynamos, de tout cet attirail encombrant et compliqué. On construira, sans peine, des moteurs de toute taille et de toute puissance, actionnant aussi bien les locomotives et les paquebots de haut bord que le métier à broder familial. Il serait même possible à tout un chacun de chauffer et d'éclairer sa maison avec la chaleur perdue du fourneau de la cuisine, si, en 1950, il y a encore des cuisines et des fourneaux.
Ce sera d'autant plus facile, en ce qui concerne l'éclairage, que les lampes à incandescence, avec leur filament bête, auront vécu pour faire place à la lumière froide des tubes de Geissler perfectionnés, engendrée par phosphorescence des gaz raréfiés, restituant 70 ou 75 % de l'énergie dépensée.
Je ne parlerai que pour mémoire du froid artificiel, qui aura pourtant révolutionné de fond en comble, non seulement l'industrie de conserves et des denrées alimentaires, mai encore la pratique des laboratoires, l'hygiène publique et privée, la fabrication des produits chimiques, le fonçage des puits et tunnels, etc.
Telle est l'analyse, fatalement incomplète et défectueuse, de ce que, en partant de l'observation du connu, il est permis d'entrevoir du probable de l'économie industrielle, du travail et de la vie dans une quarantaine d'années. Il n'y a là dedans rien de « sorcier », le germe de toutes ces possibilités existant déjà dans ce que nous voyons autour de nous : il n'en faudra pas davantage, cependant, pour développer la puissance humaine.
Les hommes en vaudront-ils mieux? En seront-ils plus heureux? C'est une autre question, qu'il ne m'appartient pas de résoudre, ni même d'aborder. Peut-être cependant est- il permis d'espérer qu'en prenant de plus en plus conscience de la toute puissance relative à la science, en même temps que des difficultés de son œuvre, il auront appris la tolérance réciproque et la patience, c'est-à-dire ce qu'il y a de meilleur dans la philosophie.
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