Un roman de Frédéric Merchadou.Editions Malpertuis, Collection »Absinthes,éthers,opiums ».2012
Alors que l'on pensait la littérature fantastique chose morte et éculée, ayant utilisée toutes les pistes et explorée, le moindre recoin de ses sinueuses circonvolutions fantasmagoriques, il est parfois des ouvrages qui nous surprennent encore par leur originalité et leur sens aigue d'une ambiance des plus réussie.
Je viens donc de terminer l'ouvrage de Frédéric Merchadou, « Ange Maudit » publié aux éditions « Malpertuis ». Vous connaissez toute l'affection que je possède pour ce dynamique éditeur qui nous prouve une fois de plus par ses choix et ses goûts sûrs et précieux, la qualité de ses publications. Une garantie de lectures enchanteresses.
Je ne connaissais pas l'auteur, rencontré lors du festival zone franche et je dois dire que mon premier contact avec ce personnage charmant et enthousiaste, fut pour moi assez révélateur et participa grandement à faire l'acquisition de son ouvrage dont j'avais du coin de l'œil, apprécié la superbe couverture.
Mais faut-il préciser que l'un des arguments de vente pour un éditeur, est de savoir attirer le regard du lecteur ? Pour l'occasion, je pense que c'est un coup de maître et toute l'atmosphère bizarre et spectrale du roman est parfaitement mise en valeur dans la magnifique composition de Philippe Jozelon. Toute l'essence même du roman est ainsi retranscrite d'une manière percutante et envoûtante. A mon humble avis, une des plus belles illustrations de la collection.
Il y avait donc dés le départ une forte aura positive et je ne doutais pas un seul instant des qualités intrinsèques d'une œuvre qui, d'après le résumé figurant au second plat de couverture, venait renouer avec cette forme narrative si chère à nos auteurs de cette fin du 19eme.
L'attente fut à la hauteur de mes espérances et le livre fut donc dévoré avec la même délectation que les savoureuses histoires d'un Joseph Shéridan le Fanu d'un Shirley Jackson ou d'un Montague Rhodes James....c'est tout dire ! Je me rappelle de cette ambiance si particulière de ces auteurs qui, à chaque lecture, me faisaient agréablement frissonner, pas forcement de peur, mais du plaisir sans cesse renouvelé de me plonger dans un univers ou le mystère et l'horreur flottent comme une présence tenace, impalpable et monstrueuse.
C'est une de ces histoires maudites où la peur de mourir est plus forte que tout .L'âme d'une femme ayant pactisée avec un démon, utilise son pouvoir afin de se réincarner dans le corps de ses victimes en utilisant un portrait comme « porte » afin de procéder au transfert. De générations en générations elle bénéficie ainsi d'une vie éternelle dont le prix à payer sera la brièveté d'occupation du corps lui servant de réceptacle. A ses cotés, un enfant démon à la présence obsédante et au regard aveugle, qui ne devra lui aussi sa survie que par cette énergie vitale qui circule dans les veines de son hôte et dont il s'abreuve goulûment lors de leurs rites infernaux..... « Car la vie est dans le sang » et cette engeance infernale ne trouve sa pérennité que dans le précieux breuvage qu'elle absorbe, du fanatisme de ces adorateurs et dans la peur quelle inspire aux autres. Un jour pourtant, tout va basculer ou presque, lorsque Mathias Yequel va répondre à une annonce et s'engage sur la route qui le conduira au manoir d'Herberay. Jeune peintre Parisien, ayant trop abandonné son corps et son esprit aux rêves acides d'une absinthe dont il ne peut se défaire, il pense que se séjour forcé, loin de tout mais surtout loin de la fée verte, pourront ainsi sauver son âme d'une peu reluisante fin. Il est loin de se douter que cette sinistre maison renferme bien des secrets et qu'il va se jeter tel le frêle papillon, dans l'immense toile d'araignée tissée par la maîtresse des lieux et dont les appétits insatiables et infernaux, lui réservent un sort bien pire que la mort.
Avec une telle aisance d'écriture et cette qualité propre aux talentueux raconteurs d'histoires, nul n'est besoin de faire des comparaisons. Ils possèdent leurs styles propres, ce « petit rien » faisant la différence mais dont la subtilité met en exergue toute les qualités d'un roman, sa marque de fabrique, son originalité. Lorsque Frédéric Merchadou vous entraîne dans sa descente aux enfers, vous savez qu'elle vous conduira à une mort certaine, mais avec cette étrange sensation procurée par l'anisé breuvage qui, l'espace d'un instant, provoque une euphorie passagère et comme par une sombre fatalité, vous fait accepter l'inéluctable. Le texte est insidieux, accroche votre main de la façon la plus anodine qui soit et vous fait visiter un univers où le beau est en parfaite adéquation avec le monstrueux. Il se passe quelque chose et vous savez que dans l'ombre de cette demeure au funeste passé, se trame un acte odieux dont il est impossible d'en évaluer l'effroyable teneur.
L'auteur distille son récit au compte goutte, à l'image de cette eau fraîche et désaltérante qui vient se répandre sur ce simple morceau de sucre. Elle vous enveloppe et se répand dans le moindre petit cristal, pour finir sa course au fond du verre, se mélangeant à la précieuse substance dans une union parfaite. Le résultat est aussi trouble que notre frêle existence, aussi enivrante et terrible à la fois de cette perception de l'impermanence de notre vie. C'est une expérience qui laisse le lecteur avec une sensation bizarre, comme s'il venait d'assister en spectateur au déroulement d'un drame affreux, mais se refusant à toute intervention par crainte d'éventuelles représailles. L'ambiance de ce roman agit sur vous comme une malédiction et dans un style impeccable, vous captive, vous fascine et vous envoûte. Nul doute que ce style narratif employé par d'autres, au talent des plus douteux, vous plongerait dans un désopilant ennui.
Avec « Ange maudit » il y a une sorte d'empathie qui se crée avec les personnages et l'utilisation de la première personne, ne fait que renforcer cette impression de vivre cette singulière aventure comme si l'auteur voulait nous y faire participer de manière plus directe.
Les pages défilent alors à une vitesse folle, le langage est précieux et agréable et la description de cet univers des plus singuliers revêt alors un caractère des plus étrange. Un univers coincé entre une maison maudite, dont les pièces, décrites avec force détails, sont à l'image de pores gigantesques, qui transpirent la peur et nous inspirent un malaise profond. De la chambre du grenier qui reste son seul et unique frêle refuge en passant par la cave qui recèle une bien étrange collection, cette thématique de la maison « vivante » est une des plus intéressante qui soit et Frédéric Merchadou joue ainsi avec aisance avec cet acteur hors norme, lui conférant un caractère « humain ». De cet univers relativement clos dont les limites ne dépassent pas la frontière du village, tout nous laisse supposer qu'une effroyable malédiction pèse et dans ce microcosme en dehors du temps,une fois rentré à l'intérieur, il vous est impossible d'en ressortir. Les habitants du cru semblent redouter l'ombre menaçante de la spectrale demeure, on chuchote, on tremble à l'évocation de son nom, mais par un terrible destin, sont étrangement liés aux choses abominables qui s'y déroulent.
Seul le « docteur », un vieil alcoolique au cerveau complètement détruit par la propre absinthe qu'il distille, osera se mettre en travers de ses funestes dessins. Bien mal lui en pris! La visite de sa maison donne d'ailleurs l'occasion à l'auteur de nous livrer un passage des plus extraordinaire. Car son domaine est à l'image de cette zone maudite dans laquelle il évolue. Un univers oublié de dieu où règne le désordre et le chaos, un enchevêtrement de broussailles et de végétaux en décomposition que seuls les serpents semblent vouloir investir.
Car de ces redoutables reptiles, il en sera souvent question et comme pour vouloir donner une plus grande aura corrompue et méphitique, cet animal que l'on exècre imprimera de ses ondulations redoutées les nombreuses pages de ce roman.
Fort heureusement un peu de « légèreté » va venir s'immiscer dans cette sombre aventure et comme pour vouloir adoucir une trame à l'atmosphère pesante, une histoire d'amour viendra ici rompre le destin funeste de ce candide peintre à l'esprit torturé. Un amour impossible que notre héroïne est seule à partager, souffrant de l'incompréhension de cet artiste aux sentiments refoulés qui à aucun moment ne percevra le trouble incommensurable qu'il attise en elle. A trop vouloir sublimer son art et rester aveugle aux avances insistantes de ce cœur passionné, c'est la sauvegarde de son âme qu'il met ainsi en péril. En refusant une âme au cœur pur il deviendra l'acteur passif de la continuité des exactions de ce terrible démon.
Dans un final apocalyptique où toute la tension de ce drame cauchemardesque trouve sa catharsis lors d'un cérémonial que vous ne serez pas prêt d'oublier, l'auteur nous plonge dans une horreur sans nom , usant avec brio de son savoir faire et de son originalité.
Ce roman est une pure merveille d'horreur Victorienne, un habile exercice de style, un joyau taillé avec finesse et habileté, se lisant avec un plaisir croissant sans qu'il vous soit possible de le lâcher avant la dernière page. En renouant avec une tradition littéraire qui trouva l'expression de la maturité ultime dans le roman de Oscar Wilde « Le portrait de Dorian Gray » pour la thématique du tableau maléfique et celui de Shirley Jackson « Nous avons toujours habité le château » pour celle de la maison maudite, Frédéric Merchadou nous livre une œuvre puissante et originale qui ne pourra que combler d'aise les amateurs de littérature fantastique, attachés à une écriture fine, délicate et témoignant d'un amour profond pour le genre et d'un respect exceptionnel pour les lecteurs qui l'affectionne.
Un réel et très grand plaisir de lecture qui me pousse à faire l'acquisition de son tout premier roman « Damné pour damné » éditions du Rocher
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