Pour l'amateur inconditionnel de Kung-fu que je suis, nourri depuis de nombreuses années aux films de la Shaw-Brother, nul doute que j'attendais depuis longtemps un auteur de talent pouvant rivaliser avec les techniques les plus perfectionnées des arts martiaux au moyen de sa plume inspirée et virevoltante.
J'avais eu l'occasion d'apprécier le talent d'écrivain de Romain d'Huissier au travers des deux fascicules du Carnoplaste avec les très réussis « La rédemption du phénix » et « Les 4 élixirs du docteur Zhu » du cycle « Les chroniques du Jiang Hu » ainsi que par le biais d'une nouvelle dans l'anthologie « L'amicale des jeteurs de sort » une compilation de l'éditeur Malpertuis et anthologie officielle du festival Zone franche 2013. Dans celle-ci, il publia une nouvelle, « Hong Kong by Night, vengeance pour un dragon », dans laquelle intervenait un certain Johnny Guân, un Fat si , à savoir un magicien taoïste, spécialiste dans les exorcismes et capable de traquer et de détruire les esprits maléfiques se propageant dans la mégapole chinoise. J'avais grandement aimé cette nouvelle, car non seulement, elle était imprégnée de cet univers d'arts martiaux et de magie, mais en plus, elle y faisait la part belle à l'une des figures mythiques de la littérature fantastique : « Le détective de l'étrange ».
Mais il ne suffit pas d'avoir de bonnes idées et de les coucher sur papier, encore faut-il manier sa prose avec une certaine subtilité et un sens du rythme bien dosée afin de donner vie à un personnage dont la charge va être ni plus ni moins que de combattre des créatures surnaturelles tout en étant humain et donc vulnérable et mortel.
Dans l'ouvrage que je viens de dévorer avec appétit petit changement de patronyme pour notre héros, mais sa fonction reste fort heureusement la même et pour cause :

« Je m’appelle Johnny Kwan et je suis un fat si, un magicien taoïste et plus précisément un exorciste. A Hong Kong, hyper-modernité du monde actuel n’a pas détruit les esprits et créatures des anciennes légendes - tout au plus ont-ils été repoussés un peu plus loin dans les ombres.
Ces êtres existent toujours. Tous ne sont pas bien disposés à l’égard de l’humanité : c’est là que mes confrères et moi intervenons. Héritiers d’antiques traditions et de techniques occultes ayant fait leurs preuves tout au long des siècles, nous formons une sorte de police surnaturelle. Nous sommes chargés de régler les cas que les autorités séculaires ne peuvent pas comprendre. Pour ma part, j’entretiens à travers toute la ville un réseau de contacts : des gens normaux mais superstitieux - en réalité, attachés aux croyances de leurs ancêtres. Ces correspondants m’appellent dès qu’un événement leur paraît sortir de l’ordinaire. Ils sont veilleurs de nuit, infirmiers, policiers, femmes de ménage, marchands de nouilles, ouvriers, employés de bureau, prostituées ou sans-abri et si neuf fois sur dix leurs appels ne débouchent sur rien, il arrive parfois qu’un cas avéré parvienne à mes oreilles. »

Nous voici donc informé sur la charge qui pèse sur notre personnage et si vous aviez, ne serait-ce que l'ombre d'un doute sur ses compétences de conteur d'histoires bien menées, il vous suffit pour en être persuadé, de lire le tout premier chapitre de son affrontement avec les deux créatures serpents : une entrée en matière tout simplement magistrale ! J'aime dans un roman cette particularité que possède certains auteurs de vous plonger d'entrée dans le vif du sujet et de faire prendre conscience au lecteur qu'il n'est pas ici pour s'ennuyer. Il faut dire que Romain possède cette incroyable particularité de vous plonger au cœur de l'action avec ce talent extraordinaire de vous faire vivre les combats comme s'y vous y étiez. J'avais déjà remarqué cette faculté lors des deux romans cités précédemment ainsi que dans les deux volumes qu'il a lui-même dirigé : « Dimension super Héros 1 et 2 » parus chez Rivière Blanche . Non seulement, elles me permirent de me plonger dans l'univers des héros d'Héxagon qui m'était complètement inconnu, mais de tâter de son style énergique aux descriptions détaillés. Il est très difficile de parvenir à rendre vivant sur papier une scène de combat, mais l'auteur y arrive avec grande force et précision : toute juste si, même en tant que spectateur hors champ, nous n'en ressortons pas avec quelques bleus et ecchymoses !
Dans son ouvrage, le premier de sa trilogie « Les chroniques de l'étrange » et intitulé « Les 81 frères » voilà donc notre Fat si emmené à conduire une enquête assez épineuse où il devra contrecarrer les méfaits d'une organisation mafieuse dont le but est de ramener sur terre une horrible entité que rien n'y personne ne sera en mesure de stopper. Mais notre taoïste est un homme agile et respecté dans sa profession et grâce à de nombreux contacts humains et surnaturels, il va repousser un mal encore plus puissant et abominable qu'il ne pensait.
Ce que j'aime dans son roman, c'est la façon dont il mène sa barque, envoyant du lourd à chaque chapitre, attisant la curiosité du lecteur et le condamnant quoiqu'il arrive à avancer encore et toujours pour savoir jusqu'où il sera capable d'aller. Non seulement son style est devenu plus fluide avec une écriture somme toute, très agréable à lire, mais il parvient en outre à rendre chaque détail intéressant, réalisant en quelque sorte un guide du « Hong Kong du surnaturel » à la fois terrifiant et passionnant. Il faut savourer tout le talent de Romain à détailler l'arsenal qu'utilise les nombreux protagonistes ( qui se ravitaille dans un magasin secret " L'armurerie céleste" ) où les armes conventionnelles ( les esprits du mal sont souvent invoqués par des êtres de chair) en côtoient d'autres plus surnaturelles : balles et sabre en bois de saule ( les démons y sont sensibles) , une arme magique sa précieuse Jyu Coeng (entrailles de poisson qui va décimer bien des adversaires) rituels magiques, sorts, prières sur papiers pouvant enflammer un démon........tout cela appuyé par des techniques modernes mises au goût du jour : GPS localisant certaines entités, Taonet réseau internet uniquement accessible aux initiés et permettant de rechercher de précieuses informations sur le monde de l'occulte.....On se régale de tant d'ingéniosité et d'inventivité qui rendent la progression du récit encore plus passionnante et addictive.

Contrairement à une critique que j'avais lu sur le net, il sait rendre cette ville mystérieuse, envoûtante et vivante, bien sûr, il attache plus d'importance aux personnages et à l’ambiance des lieux bien précis qu'ils investissent, mais nous emporte tout de même, par ces quelques descriptions des quartiers de la capitale, à l'intérieur d'un monstre gigantesque , lieu géométrique de toutes les terreurs. Les différents acteurs qui interviennent ont une réelle épaisseur ( du chauffeur de taxi à Kara son amour de toujours chez qui il « puise » une force quasi-surnaturelle, en passant par son ami inspecteur de police et Ann la redoutable nonne guerrière Fat si ) et remplissent à merveille le cahier des charges pour que l'aventure se structure et prenne corps dans un bouquet final aux allures d'apocalypse. Car voyez vous le chemin qui va le conduire au bout de sa mission ne sera pas de tout repos et du lecteur averti que je suis au simple profane, les affrontements seront à la hauteur du héros et des ruelles sordides des quartiers populaires aux bâtisses les plus mal famées, il devra user de toutes ses compétences pour affronter Goengsi, Taotie, Gwaai ( des créatures peu recommandables) une secte de fanatiques, les Hmong allias les 81 frères, une triade sans scrupule, sans oublier ce tueur froid et impitoyable qui malgrè son « humanité » lui donnera bien du fil à retordre. Fort heureusement, il sera aidé en cela par une paire de Fat Si au caractère bien trempé et par la présence d'un membre de la garde rapprochée de Ngou Zong, le roi Dragon , qu'il devra rencontrer pour le convaincre d'avoir son appui lors d'un chapitre mémorable. Le général Bui Hok sera alors un atout précieux lors de la première rencontre avec la horde d'entités démoniaques.
Tout dans le roman contribue à passer un excellent moment de lecture qu'il s'agisse de la force d'écriture toute en action, mais aussi en sensibilité (magnifique passage de la rencontre de la fillette fantôme au bord de l'eau) des références culinaires qui de temps à autre parsèment le roman ou de certaines références au cinéma que nous aimons tant ( « L’exorciste chinois », « Mr Vampire »......) sont autant d'éléments parfois infimes pour installer confortablement et durablement le lecteur dans une immersion totale de son univers.
Je connais un peu Romain d'Huissier et je dois avouer que je le découvre au travers de son œuvre où il se présente comme plus ouvert peut-être même plus accessible et c'est toujours avec grand plaisir que je me plonge dans son univers fantastique. Nous attendons avec impatience son prochain volume des « Chroniques de l'étrange » et si la suite est à la hauteur de ce premier volume, nul doute que cette trilogie fera date pour les véritables amateurs du genre.
Un grand bravo enfin pour les éditions Critic, belle mise en page et surtout magnifique couverture de Xavier Collette qui nous donne un superbe aperçu de la force de caractère et de la détermination du héros sur fond d'une ville certes lumineuse, mais qui cache de bien terribles menaces.

« Les 81 Frères » de Romain d'Huissier, Éditions Critic 2015, Le roman est agrémenté d'un bonus, le texte publié dans l'anthologie « L'amicale des jeteurs de sorts » : « Vengeance pour un dragon »