« La Révolte Des Machines » de Emile Goudeau
Nouvelle paru en 1887 dans les billets bleus, réédite dans « Bulletin des Amateurs d'Anticipation Ancienne » n° 23, 1999.
Ce texte, signalé par son auteur comme une fantaisie, est intéressant à plus d'un titre. Non seulement il aborde plusieurs thèmes des plus passionnants, mais il reprend en outre un sujet abordé avec tout autant de brio dans le roman désormais célèbre de Didier de Chousy « Ignis ».Publié en 1883 chez Berger- Levrault ( en pré original dans la revue « La science illustrée »), nous assistons dans ce dernier au percement d'une immense puits jusqu'au centre de la planète, afin d'exploiter la chaleur terrestre comme une source d'énergie intarissable et à la création d'une Utopie scientifique,Industria-City. C'est dans cette dernière que se produira la première révolte dans l'histoire de la littérature de science-fiction d'androïdes à vapeur : Les Atmophytes !
Déjà l'auteur sous couvert d'un divertissement des plus réussis, faisait passer un message sur les dangers de l'industrialisation à outrance et du remplacement de l'homme par la machine. Thème prépondérant dans l'anticipation ancienne où les auteurs furent bien souvent partagés sur le bien fondé d'une telle systématisation de la mécanique. Ce qu'il y a de passionnant dans la nouvelle de Emile Goudeau, c'est la dimension écologique de sa théorie. En effet la machine supplante l'homme, non pas au profit d'une domination totale et sans compromis, mais pour un retour à un age révolu, où la nature en reine absolue, reprend pleinement ses droits. L'être humain n'a que trop corrompu son environnement fragile et cet équilibre si délicat devenant source de destruction massive, décide de se révolter et de se rebeller face à la tyrannie de ce bipède arrogant et prétentieux. Car la menace n'est pas uniquement d'ordre humain, avec ce projet ambitieux mais antisocial du remplacement de l'homme par la machine, elle est également d'ordre écologique.
Une fois de plus c'est une dénonciation de la folie scientifique où le progrès est source de destruction, un raz de marée que la technologie ne peut plus contenir et conduira l'humanité à sa perte. Dans « La fin des robots » de Jean Painlevé, publié dans la revue « Vu » lors d'un spécial « Fin d'un civilisation » (1er mars 1933) et reproduit dans ces pages, nous assistions déjà à l'avènement de la machine qui, prenant le contrôle d'un monde entièrement mécanisé, terminera sa course effrénée par une apocalypse totale. Tout comme la longue nouvelle de G.de Pawlowski intitulée également « La révolte des machines » où elles vont également supplanter l'homme car prise d'une sorte de conscience mécanique suite à une curieuse maladie du fer. Dans ce texte, les conséquences seront moins funestes, mais l'auteur, par le biais de ce divertissement, mettait le doigt sur les préoccupations d'une époque où la machine risquait de mettre à mal la légitimité de l'honnête travailleur.
Emile Goudeau sur une longue nouvelle , soulève bien des problèmes et aborde des thématiques aussi passionnantes que la fin de notre civilisation, l'intelligence artificielle, l'écologie, la révolte sociale. Toutefois sa réflexion se fera plus profonde en dotant son robot d'une conscience, qui finalement conduira le monde à sa perte. Cette révolte des machines n'est pas le fait d'une marée de boites métalliques en folies, mais celui d'une seule et unique créature qui dans une ultime prise de conscience va générer une révolte générale, Non pas de tous les appareils mécaniques rencontrés dans les textes précédents mais par le réveil de la conscience végétale et minérale se trouvant en chaque chose :
« La révolte se terminait en un gigantesque suicide de l'acier ! »
Une bien belle phrase qui fera date dans le domaine assez restrictif de cette « révolte du fer », thématique peu rencontrée dans notre domaine.
Un fin des plus spectaculaire où l'instigateur de cette révolte, tel notre Gavroche national, terminera sa course dans un dernier baroud d'honneur, préférant se sacrifier pour une cause noble et juste, lui conférant en cela une conscience mécanique proche de l'humain, que n'avait certainement pas prévu son créateur.
Sur L'auteur
Emile Goudeau, né en 1849 et décédé en 1906, fut un personnage assez excentrique. Ecrivain et poète, il écrivit de nombreux ouvrages où il apparaît toujours comme un esprit frondeur et exubérant. Son père, sculpteur de talent, exécutait des monuments funéraires pour nourrir les siens. Après de bonnes études, Emile fut quelque temps professeur. Il quitta l'enseignement pour se retrouver à Paris comme attaché au ministère des finances. Il fonde le cercle littéraire et artistique du Quartier Latin, qui, sous le nom original de club des hydropathes, est une pépinière de poètes. Des hydropathes naît, en 1881, le Chat Noir, cabaret montmartrois notoire et dont le journal a pour rédacteur en chef Emile Goudeau. On buvait énormément alors, particulièrement l'absinthe verte, qui faisait des ravages. Goudeau payait ses collaborateurs en boisson, et ce salaire fut fatal au plus doué d'entre eux.
Parmi ces Hydropathes portés sur la « Fée verte », le jeune Aristide Briand a l'occasion d'entrevoir et peut-être de connaître des poètes comme Raoul Ponchon, Jean Moreas, Edmond Haraucourt l'auteur
de « La Légende des sexes », Jean Richepin, Charles Cros, l'étrange compositeur et poète Maurice Rollinat, auteur des « Névroses », le chansonnier et dessinateur André Gill, des humoristes comme Alphonse Allais ou Xanrof, des polémistes comme Léon Bloy ou Laurent Tailhade, de futurs
académiciens comme Maurice Donnay ou Paul Bourget, et même Sarah Bernhardt. Briand, peu porté sur la poésie, se contente d'observer et de vider des bocks en compagnie de ce singulier cénacle de
buveurs d'absinthe.
Ceci explique alors certaines de ses facéties et ce potache invétéré connu pour ses tours et canulars, confia d'ailleurs son propre enterrement bidon à la maison Borniol dans « Le Chat noir
» transformé pour l'occasion en chapelle ardente. Dans cet esprit montmartrois, Gérard de Nerval, promena en laisse un homard vivant. La Butte fut ainsi l'Eden de l'audace et de la
plaisanterie.
Les réunions du club se tenaient deux fois par semaine Rue des Boulangers.
Une petite place porte aujourd'hui le nom d'Émile Goudeau dans le 18e arrondissement de Paris, sur la butte Montmartre juste en dessous de la place du tertre.
Reste ce conte paru dans la revue « Livre populaire » du 4 Septembre 1891, N°15 1891, une des rares incursions de l'auteur dans l'anticipation. Elle est probablement involontaire quand à son
intention d'écrire une histoire « conjecturale » mais est assez symptomatique de l'esprit imaginatif et fantasque de l'auteur. Probablement un pur produit des redoutables effets de ce terrible et
merveilleux breuvage qui fut le véritable « carburant » de toute une génération d'écrivains, de poètes et d'artistes au talent surréaliste.
« La Révolte Des Machines »
Le docteur Pastoureaux, aidé d'un vieil ouvrier fort habile, que l'on nommait Jean Bertrand, avait inventé une machine qui révolutionnait tout le monde savant. Cette machine était animée, presque pensante, presque voulante, et sensible : une manière d'animal en fer. Il est inutile d'entrer ici en des détails techniques trop complexes, qui rebuteraient. Qu'il suffise de savoir qu'avec une série de boites de platine, pénétré par de l'acide phosphorique, le savant avait trouvé le moyen de donner une sorte d'âme aux machines locomobiles ou fixes ; que cet être nouveau devait agir à la façon d'un taureau de métal, d'un éléphant d'acier.
Il faut ajouter que, si le savant de plus en plus s'enthousiasmait pour son oeuvre, le vieux Jean Bertrand, superstitieux en diable, s'était peu à peu effrayé d'apercevoir cette subite évocation d'intelligence dans une chose primitivement morte.
D'ailleurs, les camarades de l'usine, qui suivaient assidûment les réunions publiques s'insurgeaient tous contre les machines qui servent d'esclave au capitalisme et de tyran à l'ouvrier. On était à la veille de l'inauguration du chef d'oeuvre.
Pour la première fois, la machine avait été munie de tous ses organes et les sensations extérieures lui parvenaient distinctes ; elle comprenait que, malgré les entraves qui la retenaient encore, des membres solides s'adaptaient à son être jeune, et que bientôt elle pourrait traduire en mouvement au dehors ce qu'elle éprouvait au dedans. Or, voici ce qu'elle entendit :
- « Etais-tu hier à la réunion publique ? » disait une voix.
- « Je te crois, vieux », répondit un forgeron, sorte d'hercule aux bras musclés et nus.
Bizarrement éclairée par les becs de gaz de l'atelier, sa figure, noire de poussière, ne laissait voir dans la pénombre que le blanc de deux gros yeux, où la vivacité remplaçait l'intelligence.
- « Oui, j'y étais, j'ai même parlé contre les machines, contre ces monstres que nos bras fabriquent, et qui, un jour, donneront à l'infâme capital l'occasion, tant cherchée, de supprimer nos bras. C'est nous qui forgeons les armes avec lesquelles la société bourgeoise doit nous battre. Quand les repus, les pourris, les ramollis, auront un tas de mouvements faciles à mettre en branle comme ceux-ci, fit-il avec un geste circulaire, notre compte serait bientôt réglé.
Nous en vivons à cette heure, nous mangeons en procréant l'outillage de notre expulsion définitive du monde. Holà ! Pas besoin de faire des enfants, pour qu'ils soient des laquais à bourgeois ! »
En écoutant de toutes ses soupapes auditives cette diatribe, la machine intelligente, mais naïve encore, haletait de pitié. Elle se demandait s'il était bon qu'elle fût née pour rendre ainsi misérables ces braves travailleurs.
-« Ah ! Vociféra le forgeron, s'il ne tenait qu'à moi et à ceux de ma section, nous ferions sauter tout ça comme une omelette. Nos bras ensuite suffiraient bien, dit-il en se tapant sur les biceps, à remuer la terre pour y trouver du pain ; les bourgeois, avec leurs muscles de quatre sous, leur sang vicié et leur jambes molles, pourraient nous le payer cher le pain ; et, s'ils bronchaient, mille tonnerres ! ces deux poings pourraient leur en faire passer le goût. Mais je parle à des brutes qui ne comprennent pas haine. »
Et s'avançant vers la machine :
-« Si tous étaient comme moi, tu ne vivrais pas un quart d'heure. Sale bête, va ! »
Et son poing formidable s'abattit sur le flanc de cuivre, qui retentit d'un long gémissement quasi humain.
Jean Bertrand, qui assistait à cette scène, frémit d'attendrissement, se sentait coupable envers les frères, lui qui avait aidé le docteur à accomplir le chef d'oeuvre.
Puis, tous ils s'en allèrent, et la machine écoutait encore, de souvenir, dans le silence de la nuit. Elle était donc de trop sur la terre ! Ainsi, elle ruinait de pauvres manants au profit d'exploiteurs damnés ! Ah ! elle sentait désormais quel rôle d'oppression ceux qui l'avaient créée lui voulaient faire jouer ! Plutôt le suicide. Et, dans son âme machinale et enfantine, elle ruminait le projet magnifique d'étonner, au grand jour de son inauguration, le peuple des machines ignorantes, rétrogrades et cruelles, en leur donnant enfin un exemple de sublime abnégation. A demain !
Pendant ce temps, à la table du comte de Valrouge, le célèbre protecteur des chimistes, un savant terminait ainsi son toast au docteur Pastoureaux :
- « Oui, messieurs, la Science procurera à la souffrante Humanité le triomphe définitif.
Elle a déjà beaucoup fait : elle a dompté le temps et l'espace. Nos chemins de fer, nos télégraphes, nos téléphones, ont supprimé la distance. Si nous arrivons, comme le docteur Pastoureaux semble le prévoir, à démontrer que nous pouvons mettre de l'intelligence en nos machines, l'homme se sentira à jamais délivré des travaux serviles.
Plus de serfs, plus de prolétaires ! Tous deviendront bourgeois ! La machine esclave délivrera de l'esclavage nos frères d'en bas et leur donnera droit de cité parmi nous.
Plus d'infortunés mineurs obligés de descendre sous la terre au péril de leur vie, la machine infatigable et éternelle y descendra pour eux ; la machine pensante et agissante, non souffrante du labeur, bâtira, sous notre commandement, les ponts en fer et les palais héroïques ; c'est elle, la machine docile et bonne, qui retournera les sillons. Eh ! messieurs, il m'est permis, en présence de cette admirable découverte, de me faire un instant prophète. Un jour viendra où, toujours courant de ci de là, les machines se transporteront seules, comme des pigeons voyageurs du Progrès ; un jour peut- être, ayant reçu leur complémentaire éducation, elles apprendront à obéir sur un simple signe, de telle sorte que l'homme, assis, paisible et fort, au sein de la Famille, n'aura qu'à appuyer sur un signal électro-vitalique afin que la machine sème le blé, le récolte, l'emmagasine et en fasse du pain qu'elle apportera sur la table de Y Homme, devenu enfin Roi de la Nature. Dans cette épopée olympienne, les animaux, eux aussi, délivrés de leur part énorme de travaux, pourront applaudir de leurs quatre pieds (émotions et sourires) ; oui, messieurs, car ils deviendront nos amis, après avoir été nos souffre- douleur. Le boeuf devra toujours servir à fabriquer le potage (sourires), mais, du moins, il n'aura point souffert auparavant.
Je bois donc au docteur Pastoureaux, au libérateur de la matière organique, au sauveur du cerveau et de la chair sensible, au grand, au noble destructeur de la souffrance ! »
Le discours fut vivement applaudi. Seul, un savant jaloux jeta ce mot :
- « Cette machine aura-t-elle la fidélité du chien ? La docilité du cheval ? Ou même la passivité des machines actuelles ?
Je ne sais, répondit Pastoureaux, je ne sais ».
Et, subitement plongé dans une scientifique mélancolie, il ajouta :
- « Est-ce qu'un père se doit dire assuré de la gratitude filiale ? Cet être que j'ai mis au monde peut avoir de mauvais instincts, je ne saurais le nier. Je crois pourtant avoir développé en elle, lors de sa fabrication, une grande propension vers la tendresse, un esprit bon, ce qu'on appelle communément du coeur. Les parties affectives de ma machine, messieurs, m'ont coûté plusieurs mois de labeur : elle doit avoir beaucoup d'humanité, et, si j'ose le dire, de la meilleure fraternité.
Oui, reprit le savant jaloux, la pitié ignorante, la pitié populaire qui égare les hommes, la tendresse inintelligente qui fait commettre les lourdes fautes. Votre machine sentimentale s'égarera comme un enfant, j'en ai peur. Mieux vaut un adroit méchant que de maladroites bontés. »
On chuta l'interrupteur et Pastoureaux termina :
- « Qu'un bien ou qu'un mal sorte de tout ceci, je puis lever la tête : j'ai fait faire, je pense, un formidable pas à la science humaine. Les cinq doigts de notre main tiennent dorénavant l'art suprême de la création. »
Les bravos éclatèrent.
Le lendemain, on démusela la machine, et, docilement, elle vint seule se mettre en ligne devant une assemblée nombreuse, mais choisie.
Sur la plate-forme, s'installèrent le docteur et le vieux Jean Bertrand.
L'excellente musique de la Garde républicaine se fit entendre, et des cris de « Vive la science ! » éclatèrent. Puis, après avoir salué le Président de la République, les autorités, les délégations des Académies, les représentants étrangers et toutes les notabilités réunies sur la quai, le docteur Pastoureaux ordonna à Jean Bertrand de mettre en relation directe l'âme de la machine avec tous ses muscles de platine et d'acier.
Le mécanicien fit cela très simplement, en appuyant sur un levier brillant, grand comme un porte- plume.
Et tout à coup, sifflant, hennissant, tanguant, roulant, piaffant, en sa férocité de vie nouvelle et dans l'exubérance de sa puissance formidable, la machine s'enleva pour une furibonde course.
« Hip ! hip ! hip ! hurrah » ! Crièrent les assistants.
- « Va, machine du diable, va », cria Jean Bertrand, et, comme un fou, il appuya sur le levier vital.
Or, sans écouter le docteur, qui voulait modérer cette allure étonnante, Bertrand parlait à la machine :
- « Oui, machine du diable, va ! va ! si tu comprends! va ! pauvre esclave du capital, va ! vole, vole, vole! sauve les frères ! Sauve-nous ! ne nous rends pas plus malheureux encore qu'avant ! Moi ! moi, je suis vieux, je m'en moque ; mais les autres, les pauvres gars, aux joues creuses et aux jambes maigres, sauve-les, bonne machinette, sois gentille comme je te l'ai dit ce matin ! Si tu sais penser, comme ils l'assurent tous, montre-le ! Qu'est-ce que ça peut te faire de mourir, puisque tu n'en souffriras pas ? Moi, je veux bien périr avec toi, au profit des autres, et pourtant ça me fera du mal. Va, bonne machine, va ! »
Il était fou.
Le docteur voulut alors reprendre la direction de la bête de fer :
- « Doucement ! machine », cria-t-il.
Mais Jean Bertrand le repoussa avec rudesse.
- « N'écoute pas le sorcier ! Va, machine, va ! »
Et grisé d'air, il talonnait les flancs de cuivre du Monstre, qui, sifflant éperdument, enjambait de ses six roues l'espace démesuré.
Sauter de la plate-forme était impossible ! Le docteur se résigna et, tout rempli de son amour pour la science, il tira un carnet de sa poche, et, tranquille, se mit à prendre des notes, comme Pline au cap Misène.
A Nord-Ceinture, surexcitée, la machine s'emballa définitivement. Bondissant hors du talus, elle se mit à courir à travers la zone. La colère et la folie du monstre se traduisait en une stridence de sifflet, suraiguë, déchirante comme une plainte humaine, et rauque parfois comme un hurlement d'émeute. A cet appel répondirent bientôt les locomotives lointaines, les sifflets des usines et hauts-fourneaux. Les Choses se mettaient à comprendre.
Un concert féroce de révolte commença sous le ciel, et soudain, de toute la banlieue, les chaudières éclatèrent, les tuyaux se rompirent, les roues s'écartelèrent, les leviers se tordirent convulsivement, et, joyeusement, les arbres de couche volèrent en morceaux.
Toutes les mécaniques, comme mues par un mot d'ordre, se mettaient en grève de proche en proche. Et non plus seulement la vapeur ou l'électricité ; mais, à ce rauque appel, l'âme du Métal s'insurgeait, excitant l'âme de la Pierre, depuis si longtemps domptée, et l'âme obscure du Végétal, et la force de la Houille.
Les rails se dressaient d'eux-mêmes, les fils télégraphiques jonchaient inexplicablement le sol, les réservoirs à gaz envoyaient au diable leurs poutres énormes et leurs poids. Les canons éclataient sur les murailles et les murailles croulaient.
Bientôt, les charrues, les herses, les pioches, toutes les mécaniques, tournées jadis contre le sein de la terre dont elles étaient sorties, se couchaient maintenant sur le sol, refusant à jamais plus de servir homme.
Les haches respecteront arbre, et la faucille ne mordra plus le blé mûr.
Partout, sur le passage de la Locomotive vivante, l'âme du Bronze se réveillait enfin.
Les hommes fuyaient éperdus.
Bientôt tout ce territoire, surchargé de débris humains, ne fut plus qu'une plaine de gravats tordus et calcinés. Ninive avait pris la place de Paris.
La Machine, toujours infatigablement haletante, tourna brusquement sa course vers le nord. Sur son passage, à son cri strident, tout se détruisait soudainement comme si un souffle maudit, un cyclone de dévastation, un volcan effroyable, se fussent agités là.
Quand, de loin, les Vaisseaux empanachés de fumée entendirent le formidable signal, ils s'éventrèrent et disparurent dans l'abîme.
La révolte se terminait en un gigantesque suicide de l'Acier.
La Machine fantastique, époumonée maintenant, boitant des roues et produisant un horrible bruit de ferraille avec tous ses membres disjoints et son tuyau démoli, la Machine-Squelette, à laquelle se cramponnait instinctivement, terrifiés et anéantis, le rude ouvrier et le savant mièvre, la Machine, héroïquement folle, râlant un dernier sifflement de joie atroce, se cabra devant l'écume de l'Océan, et, dans un suprême effort, s'y plongea tout entière.
La terre, tout au loin, était couverte de ruines. Plus de digues ni de maisons ; les villes, chefs-d'oeuvre de la Mécanique, s'étaient aplaties en décombres. Plus rien ! Tout ce que la Machine avait élevé depuis des siècles était à jamais détruit : le Fer, l'Acier, le Cuivre, le Bois, et la Pierre, ayant conquis une volonté rebelle à l'Homme, s'étaient soustraits à sa main.
Les Animaux n'ayant plus ni frein, ni collier, ni chaîne, ni joug, ni cage, avaient repris le libre espace dont ils étaient depuis longtemps exilés ; les farouches Brutes, aux larges gueules et aux pattes armées de griffes, récupéraient du coup la royauté terrestre. Plus de fusils, plus de flèches à redouter, plus de frondes. L'Homme redevenait le faible d'entre les faibles.
Ah ! Il n'y avait certes plus alors de castes : ni savants, ni bourgeois, ni ouvriers, ni artistes, mais tous parias de la Nature, levant vers le ciel muet des yeux désespérés, pensant encore vaguement, quand P horrible Crainte et la Peur hideuse leur laissaient un instant de répit, et parfois, le soir, parlant du temps des Machines où ils étaient Rois.... Temps défunt ! Ils possédaient donc l'Egalité définitive dans l'anéantissement de tout.
Vivant de racines, d'herbes et d'avoines folles, ils fuyaient devant le troupeau immense des Fauves, qui, enfin, pouvaient à loisir manger de l'entrecôte ou du gigot humains.
Quelques hardis hercules essayèrent d'arracher des arbustes pour s'en faire des armes. Mais le Bâton lui même, se considérant comme Machine, se refusa à la main des audacieux.
Et l'homme, ancien monarque, regretta amèrement les Machines qui Pavaient fait dieu sur terre ; et il disparut à jamais devant les éléphants, les noctambules lions, les aurochs biscornus et les ours immenses.
Tel fut le récit que me fit l'autre soir un philosophe darwinien, partisan de l'aristocratie intellectuelle et de la hiérarchie. C'est un fou, peut-être un voyant !
Ce voyant ou ce fou doit avoir raison : ne faut-il pas une fin à tout, même à une nouvelle fantaisie.
Emile Goudeau
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