Paru à l'origine en 1901 dans un rare ouvrage publié chez Editions Berger-Levrault « Pour lire en automobile » la nouvelle que allez lire ici remet ici en cause l'orthographe de ce célèbre mastodonte qui ne cesse depuis des générations de hanter les « archéologues du merveilleux ». Mais cette nouvelle n'est qu'une infime partie du talent de conteur de Paul Vibert qui, avec une audace rare pour l'époque, invente un monde où la science, loin d’être une chimère, nous livre quelques découvertes toutes plus surprenantes les unes que les autres .Véritable patchwork du « merveilleux scientifique », l'auteur nous livre sur quarante nouvelles de longueurs variables, un catalogue de découvertes et d'invasions farfelues qui ne vous laisseront pas insensibles. Réparties sur quatre grands chapitres : « La vie », « La mort »,« Le fluide mystérieux » et « Applications scientifiques », Paul Vibert y exerce un talent extraordinaire où se mélange avec une parfaite alchimie, domaine de l'imaginaire et humour avec cette pointe de folie et de démesure qui à l'époque se faisait cruellement sentir dans ce genre d'ouvrage. Il fut également l'auteur, chez le même éditeur, d'autres recueils de nouvelles : « Pour lire en sous-marin », « Pour lire en bateau-mouche » dont j'ignore totalement le contenu, mais nul doute que, si ils ne contiennent pas de nouvelles SF ou fantastiques, on y trouvera ce même talent de conteur d'histoires.
Petit hommage à un grand chasseur de Mammouth, un ami et fidèle lecteur ( entre autre) du grand Rosny Aïné, cette nouvelle est donc surtout dédiée à Fabrice Mundzik ,et je voudaris remercier ici le travail acharné d'archéologue du merveilleux dont il fait preuve depuis de nombreuses années, avec autant de rigueur et de passion !
Notes de l'éditeur
« Ce sont des choses imprévisibles. Vous ouvrez un livre et paf ! C’est l’éblouissement inattendu, une richesse que rien, ni le titre, ni l’auteur, ni l’aspect, ne laissait prévoir. »
C’est dans ces termes que Pierre Versins, dans son Encyclopédie de l’utopie et de la science-fiction, parle d’Edmond-Célestin-Paul Vibert, né à Paris en 1851, conférencier, journaliste, auteur de nombreux ouvrages sur les sujets les plus divers, à qui on doit nombre de textes littéraires, dont plusieurs à couleur anti-cléricale, et quelques-uns de caractère fantastique.
C’est au nombre de ces derniers qu’il faut placer ces Nouvelles fantastiques, dont Pour lire en automobile forme le premier volume. Il s’agit d’une trentaine de chroniques écrites dans le style d’Alphonse Allais, reposant toutes sur une donnée scientifique, continuant ainsi agréablement les traditions d’Hoffmann, d’Edgar Poë et de Jules Verne.
Les thèmes en sont pour le moins surprenants et passionnants, tels la fécondation artificielle d’une éléphante avec de la semence congelée de mammouth, les perroquets amazoniens parlant le phénicien, ces hommes minuscules obtenus en accouplant des Aztèques purs à des nains pour arriver à l’homme microscopique, la preuve que les océans sont peuplés depuis le déluge par des hommes amphibiens, le percement du tunnel Paris-Antipodes pour l’Exposition universelle, etc.
Un des grands classiques parmi les précurseurs de la science-fiction.
« Mammonth & Béhémoth » Nouvelle extraite du recueil de nouvelles paru aux éditions Slatkine collection « Ressources » en 1981
Je venais de dîner un soir chez un jeune attaché du ministère des Relations Extérieures à Saint- Petersbourg, le prince D..., et nous causions un peu à bâtons rompus, lorsqu’après un silence où nous irions regardé filer les méandres bleus de la fumée de nos cigares, dans la position abandonnée et extatique des boas qui font leur digestion, il me dit tout à coup, mais lentement, comme pour bien me faire comprendre ses paroles :
— Vous savez qu’il y a ici une légende qui veut que le Mammonth que l’on appelle à tort Mammouth, avec un U quand il faut un N, soit tout simplement le contemporain ou plutôt le même animal que le fameux Béhémoth des Ecritures.
— Je le sais.
— Vous savez également que l’on a retrouvé des couches, des montagnes d’ossements et de défenses—d’ivoire fossile — de ces animaux sur les îles innombrables qui s’étendent comme un long chapelet dans l’Océan Glacial, le long des côtes de Sibérie ?
— Également.
— Enfin, vous n’ignorez point que l'on a même retrouvé intacts, dans la glace, un certain nombre de Mammonths avec leurs fourrures, leur crinière imposante qui en faisait comme de vieux lions majestueux, témoins irrécusables de ces temps reculés?
— Parfaitement.
— Et vous savez peut-être qu’un jour, à notre grand banquet offert au monde savant de toute l’Europe par la Société Impériale de Géographie de Tobolsk,.on put servir un excellent filet de Mammouth, absolument bien conservé, frais et exquis, et qui avait peut-être vingt, trente ou quarante mille ans et peut-être plus.
— J’y étais.
Le prince D. . me regarda, subitement intéressé à ses propres paroles, trouvant devant lui un auditeur déjà initié à tous ces mystères et c’est d’une voix plus grave qu’il reprit:
— Vous en avez mangé, mais en avez-vous vu de vivant ?
— Quelle folie !
— Quelle folie, dites-vous ? Eh bien j’en ai un vivant, bien vivant chez moi, dans mes terres ; seulement, comme l’Empereur le voudrait certainement, personne ne sait que je possède un pareil trésor.
— Et il a quarante mille ans ?
— Non, il a trois ans seulement et si vous me promettez d’être discret, demain nous prendrons le rapide, ce n'est qu’à une journée d’ici, je vous le ferai voir...
Je regardais le prince, convaincu qu’il était fou. Il était cependant fort calme et l’air souriant, jouissant de ma stupéfaction et de mon ahurissement.
— Hein ! vous vous demandez si je n'ai point une araignée dans le plafond, comme vous dites en France.
Et, subitement affectueux, me prenant les mains:
— Non, mon ami, je n'ai qu’un Mammonth vivant, bien vivant, dans mes écuries.
— Un mâle? fis-je un peu railleur, comme malgré moi.
— Non, une femelle.
Le visage du prince se contracta alors si violemment sous la douleur que je crus l’avoir offensé et lui en fis toutes mes excuses.
— Ce n’est point cela, non, non, vous comprendrez dans deux jours, quand nous serons là-bas, dans mon château.
Nous partîmes le lendemain et deux jours après, ému, bouleversé, prêt à défaillir d’émotion devant cette subite et vivante évocation des premiers temps de la Faune terrestre, je contemplais de mes propres yeux et je touchais du doigt la croupè fantastique du Mammonth.
Je croyais rêver, je n’en pouvais plus prononcer une parole ; le prince jouissait avec patience de mon effarement. Enfin, quand je pus articuler une phrase, je lui dis :
— En effet, on voit rien qu’à la robe que c'est une femelle ; la fourrure est belle et épaisse, mais la crinière n’est point imposante comme celles que j’ai vues dans vos Musées d’histoire naturelle et qui avaient appartenu à des mâles.
— Évidemment, fit il amèrement.
— Mais, je vous en prie, comment avez vous cette bête fabuleuse chez vous?
— C’est bien simple, et je vais vous l'expliquer en deux mots. Vous avez entendu parler de la fécondation artificielle? Il y a un médecin qui s’y consacre.
— Parfaitement.
— Eh bien, lorsqu’il y a douze ans environ, on trouva un Mammonth en parfait état de conservation, je pris la matière féconde congelée, vous comprenez, je la fis fondre à petit feu, au bain-marie, et, avec les procédés ordinaires sur lesquels il est inutile d’insister, à ce moment j’arrivai à mettre dans une position intéressante une éléphant femelle que j’avais fait venir exprès des Indes, à tout hasard. Vous voyez que les spermatozoïdes étaient revenus à la vie, au bout de milliers d’années, admirable opération chimique plutôt que vitale, et au bout de neuf ans, mon éléphant femelle mettait au monde le jeune Mammonth que vous avez sous vos yeux. Malheureusement, lui aussi est femelle et quand il sera mort, dans 150 ou 200 ans, vraisemblablement ou plus, ce sera fini, je n’aurai pu perpétuer et ressusciter entièrement l’espèce.
Et les yeux du prince D... se mouillèrent de larmes en me disant cela.
— Mais pourquoi ne recommencez-vous pas l’opération qui a si bien réussi une première fois?
— J’ai essayé de conserver la matière tirée des parties du Mammonth, mais elle n’a pas tardé à se corrompre, malgré mes précautions, et depuis, malgré les millions que j'ai dépensés à faire faire des fouilles, on n’a pu retrouver un seul Mammonth intact dans la glace A moins d’un hasard impossible même à prévoir, j’ai perdu tout espoir. Et puis qui sait, même dans ces conditions, une seconde tentative serait-elle heureuse ?
Je laissai le prince abîmé dans ses réflexions, et c’est ainsi que j’ai pu voir, il y a quelque vingt ans, au fond de la Russie, un Mammonth en chair et en os, bien vivant. Mais il est fort probable que l’on ne pourra jamais en avoir un second exemplaire, ni relever la race, la recréer, et c’est ce qui faisait justement, il faut bien l’avouer, le désespoir du prince D..., attaché au ministère des Relations Extérieures de l'empire de toutes les Russies ! (1)
Edmond-Célestin-Paul VIBERT
(1) Cette nouvelle, comme la plupart de celles qui composent ce volume ont été publiées, il y a plusieurs années, dans la presse et, depuis, presque chaque jour les événements sont venus me donner raison et confirmer mes théories.
Ceci dit, une fois pour toutes, je cite « L’aurore » du 23 mai 1901:
« L’académie des Sciences de Russie est chargée de rapporter à Saint-Pétersbourg un mammouth qui a été trouvé dans un état de conservation parfait, en Sibérie.
« Des mesures ont été prises pour empêcher la décomposition des chairs, surtout des organes internes, ainsi que des végétaux contenus dans l’estomac du mammifère.
« Le corps du mammouth a été découvert dans l’arrondissement de Kolymsk, à 300 verstes de Sredné-Kolymsk, à la suite d’un éboulement qui s’est produit au bord de la Bérézôvaïa, affluent de la Kolyma, Font partie de l’expédition : MM. O. Herz, remplissant les fonctions de premier zoologue de l’Académie impériale des Sciences et de E. Pfitzmeyer, prenlier préparateur au musée de la même Académie »
Puis celle du 12 juillet de la même année :
« Nous avons dit qu’on avait trouvé récemment, .en Sibérie, un mammouth extraordinaire. L Académie de Péterebourg a reçu du chef de la mission chargé de le rapporter un télégramme, daté de Yakoutsk, annonçant que l’expédition est arrivée dans cette ville le 14 juin, qu’elle remontera la rivière Aldan en bateau à vapeur et qu’elle fera ensuite 3 000 verstes par la voie de terre pour se rendre à Kolymsk, où elle compte arriver dans deux mois et demi
« Le mammouth dont il s’agit est un spécimen unique en son genre ; le poil, la peau et les chairs sont entièrement conservés, et il y a encore dans l'estomac des restes de nourriture non digérées »
Sans commentaires, n’est-ce pas ?
Rejoignez le groupe des Savanturiers sur Facebook
"A ma mort, je souhaite léguer mon corps à la science-fiction" Steven Wright. Acteur et réalisateur Américain
Découvrez cette nouvelle page entièrement consacrée à Henri Lanos
Pour une Esquisse Bibliographique de Maurice Renard , Père du" Merveilleux Scientifique"
Ici on aime l'aventure et les voyages extraordinaires
Un long métrage d'un jeune réalisateur qui fleure bon les séries d'antan
Derniers articles en ligne
Une exposition incontournable à la BNF, toute en finessse et érudition: Magnifique!
Cliquez sur l'image pour accéder à l'article et les photos de l'exposition
L'auberge entre les mondes: Péril en cuisine" de Jean-Luc Marcastel, pour lire l'article cliquez sur l'image
"Sherlock Holmes aux enfers" de Nicolas Le Breton. Pour lire l'article, cliquez sur l'image
"Espérer le soleil" de Nelly Chadour .Pour lire l'article, cliquez sur l'image
"Pierre fendre " de Brice Tarvel pour lire l'article cliquez ici
"La fin du monde est pour demain" pour l'article cliquez sur l'image
"Le monstrologue" pour lire l'article, cliquez sur l'image
"les planétes pilleuses" de Jean-Pierre Laigle. Pour lire l'article, cliquez sur l'image
"Une journée en l'an 2000" Pour lire la nouvelle cliquez sur l'image
Maurice Renard par Jean Cabanel. Cliquez sur l'image pour lire l'article
Pour accéder à l'article, cliquez sur l'image"
"L'aviation: journal de bord"
Pour l'ire la nouvelle, cliquez sur l'image
Pour accéder à l'article, cliquez sur l'image.
Pour accéder à l'article, cliquez sur l'image
Pour accéder à l'article, cliquez sur l'image
Pour accéder à l'article, cliquez sur l'image
Pour accéder à l'article, cliquez sur l'image
Pour accéder à l'article, cliquez sur l'image