"Une expédition polaire aux ruines de Paris" de Octave Béliard
Longue nouvelle de Octave Béliard parue dans la revue « Lecture pour tous » en Juin 1911,Treizième année Numéro 9, pages 797 à 808. Illustrations de Henri Lanos.
La glace recouvre la presque totalité de l'Europe.
Paris, ancienne capitale de la terre ce « Grand foyer de l'intelligence et du progrès, le siége des grandes universités, la source des inventions et des découvertes »,n'est plus qu'un lointain souvenir dans l'esprit des derniers représentants de la race blanche.
Fuyants cette ère glacière, une poignée d'Européens se sont réfugiés à Madagascar, le centre Afrique, l'Asie du sud et l'Amérique centrale. C'est là que se perpétue l'histoire de notre civilisation, fuyant les territoires hostiles de l'hémisphère Nord.
Décollant de Tananarive, Tulléar, Fandriane et Atanibé, n'ont qu'un seul but partagé : Retrouver Paris !
A force d'acharnement et portés par une chance inouïe, ils découvrent un matin les vestiges d'une cité gigantesque. Une fois au sol, tout porte à croire face à quelques indices qui ne trompent pas, qu'ils ont enfin atteint leur but. L'œuvre de Victor Hugo en tête, ils se lancent alors dans l'exploration de ces ruines fabuleuses, qui vont révéler au fur et à mesure toute l'étendue de leurs richesses, témoins d'un passé lourd de souvenirs : » L'arc de triomphe » et ces troupeaux de rennes, « Notre dame de Paris » occupée par une colonie de pingouins, »la tour Eiffel » qui sectionnée en son milieu ressemble à un énorme mastodonte,la « place de la concorde » et ses étendues fantomatiques....
Mais la tempête fait rage, leur appareil est immobilisé par le froid, les trois aviateurs se préparent à un hivernage forcé.
Les jours et les semaines passent, les explorateurs vont de découvertes en découvertes et c'est tout un passé fier et orgueilleux qui ressurgit ainsi au fil du temps.
Mais la nourriture intellectuelle et spirituelle ne suffit pas à nos intrépides aventuriers, les vivres commencent à manquer. Il faut alors s'improviser trappeur, partir chasser le renne, affronter l'ours polaire, se battre contre une meute de loups ou de chiens sauvages affamés.
Le temps poursuit sa course inexorablement, l'hiver laisse la place à un timide printemps, un semblant de verdure perce la neige, une vie végétale commence à reprendre ses droits.
Un jour pourtant, alors qu'ils songeaient au retour, le trio se trouve encerclé par une horde de ces féroces carnassiers qu'ils avaient pour habitude d'éviter. Les chasseurs deviennent « chassés » et ne doivent leur salut qu'a la découverte providentielle d'un ancien accès au Métropolitain. Ils avancent alors dans l'obscurité souterraine, la crainte dans l'âme, dans un dédale incroyable de murs et de plafonds écroulés. Au détour d'une bifurcation cependant ils découvrent une chose incroyable : Une ville sous la ville, les troglodytes de l'avenir, les descendants du peuple de Paris ! :
« Les chasseurs sont chassés, susurra Atanibé. Tout le peuple de Paris est à notre poursuite !Le peuple de Paris ! Interrogea Tulléar.
Eh ! Que voulez-vous que ce soit ? Nous avons vu un homme. Ce genre d'animal ne vit point solitaire. Paris doit avoir des hôtes. Quelque peuplade d'humanité bâtarde, comme nous en avons rencontré souvent dans notre voyage circumpolaire, qui s'est approprié les restes des grands Parisiens d'autrefois. Pour avoir déragé dans sa quiétude une tribu qui hiverne sous terre,sauvage sans doute, ignorante de l'humanité et du monde,nous allons avoir e à en découdre. »
Après une course poursuite éperdue, ils parviendront à sortir de justesse de ces galeries infernales avec au trousse, une troupe entière d'individus d'hommes hirsutes armés jusqu'aux dents :
« Un cri fait de mille cris répondit. Une armée hirsute montait de la berge, courait à eux, brandissant des massues de fer, faisant vibrer les frondes. Le peuple des profondeurs s'était aperçu que sa proie lui échappait, et, par toutes les ouvertures des souterrains, se ruait, hâtant sa poursuite. »
Ils parviendront de justesse à leur appareil qui fort heureusement en raison du réchauffement parvint à se mettre en route afin de décoller, et « le vaste oiseau s'éloigna majestueusement dans la profondeur bleue »
En guise de conclusion
Ce texte qui fut l'objet d'une réédition dans une anthologie de Marc Madouraud sous le titre «Paris capitale des ruines » reste d'une facture très agréable et fondateur dans le thème développé dans cette rubrique.
Béliard, comme pas mal d'écrivain le feront par la suite, évoque une véritable « migration » de l'espèce humaine afin de fuir l'arrivée d'une glaciation. En règle générale cet exode s'effectuera vers les terres plus clémentes et hospitalières du sud, les seules épargnées par ce type de catastrophe. Cette « expédition » est en fait une évocation nostalgique de ces trois savants pour qui la découverte de cette ancienne capitale est essentielle afin d'effectuer un retour aux origines et de puiser dans les racines même de leur civilisation renaissante. Cette description de Paris dont ils tentent la reconstitution à partir de l'œuvre de Victor Hugo, ne manque pas de poésie et nous livre souvent quelques visions surréalistes des monuments de la capitale. Il faut toutefois avouer que de la technologie employée par ces hommes du futur, se dégage un air un peu désuet et archaïque. L'appareil leur permettant les déplacements (dont l'illustration de Lanos en page 799 ne fait que renforcer cette impression) est le bon vieil « aéroplane » qui certes possède de grandes ailes mais doté d'un système de propulsion classique et incapable de résister aux rigueurs du froid. La seule petite fantaisie que va se permettre l'auteur est l'utilisation d'un fusil « dernier modèle » à dégagement de force radioactive mais qui ne sera utilisé qu'une seule fois. Je crois qu'il faut plutôt aller du coté de l'originalité du thème et de l'évocation de ce Paris sous la glace et de ses nouveaux occupants afin d'y trouver toute son originalité.
Ce qu'il y a de plaisant dans cette longue nouvelle, c'est le retour de l'homme du futur à ces origines. Ici la science n'apporte rien, l'homme se retrouve seul face à son destin, c'est un retour en arrière à une époque où sa survie dépendait de son courage et de son adaptation au milieu dans lequel il évolue. Une « régression » où le courage et sa condition physique sont ces seules armes, en utilisant de nouveau ses sens les plus primitifs.
Cette tentative de survie dans un univers hostile, en l'occurrence dans un Paris figé dans la glace est d'une grande beauté, une évocation fort réussie, qui ne peut vous laisser indifférent.
Mais ce qui en fait également son originalité est sans contexte la découverte de ce Paris de « Troglodytes » et caché dans les profondeurs du Métropolitain Parisien. Toute une descendance des anciens habitants de la capitale qui pour une raison évidente de survie face aux rigueurs de l'hiver polaire, se terre dans l'attente de températures plus clémentes.
Un retour à un stade disons « primitif », obligatoire et forcé, ou ces habitants considèrent ces êtres étranges, violant leur territoire comme appartenant à une autre tribu donc hostile à leur communauté.
Béliard ne juge pas cette incroyable survivance de la race blanche même s'il les traite de « sauvages » il confirme seulement la fait que sa propre culture n'est qu'une présence parasite dans ces nouvelles terres et qu'un pont culturel immense les sépare.
Savourons pour terminer, le final stupéfiant de cette horde hirsute et vociférante déboulant des entrailles du Métropolitain et qui nous offre une image tellement effrayante mais à la fois réaliste de Pais aux heures de pointe. Force est de constater que l'auteur faisait également preuve d'un certain humour....involontaire :
Paris restera toujours Paris !
En guise d'inventaire d'un Paris archéologique
Plus que toute autre capitale, Paris fut l'objet de tous les fantasmes mais également objet de toutes les fins possibles et imaginables. Qu'elle soit la cible de savants fous, d'un voisin belliqueux où la cible d'une catastrophe naturelle ou provoquée, sa superbe et son arrogance ne cesse d'être la convoitise des esprits dérangés.
On va alors tenter de la mettre à mal sous différentes formes et c'est ainsi qu'elle sera menacée de destruction par les macrobes de André Couvreur (« Une invasion de macrobes » éditions Laffitte 1910), ou par le piétinement de monstres anté- diluviens ( « L'effrayante aventure » Jules Lermina Tallandier « Les romans mystérieux » 1910). Elle va subir un fin tragique dans le roman analysé dans ce blog (« Paris en feu » de Henry Bardot, Bibliothèque des lettres Françaises 1914) si ce n'est sous les bombes d'un ennemi impitoyable (« Comment Paris sera détruit en 1936 » Major von Helders Éditions Albert 1932). Elle connaîtra une fin presque totale dans la nouvelle de Georges Rouvray où des graines venues de l'espace vont germer et donner naissance à de redoutables plantes tentaculaires (« Paris envahi par un fléau inconnu » revue « Mon bonheur N° 26 en 1927. Parfois même elle sera victime d'un fléau beaucoup plus insolite mettant à mal tout notre sens des réalités (« La fin de Paris ou la révolte des statues » de Marcel Sauvage Éditions Denoël et Steele 1932) et parfois sa destruction sera annoncée lors d'une catastrophe en 1950 par les hommes du futur (« En 2125 » deRaoul Le Jeune Collection Fama 1928)
Mais cette ville reste avant tout dans la mémoire des archéologues du futur comme la pièce maîtresse de leurs recherches,la quête du saint graal, la ville qui rayonne encore après des millénaires d'un sommeil paisible.
Le thème des ruines de Paris en littérature conjecturale fut l'objet de l'attention de quelques auteurs :
- « Les ruines de Paris » de Joseph Mery, dans le recueil « Contes et Nouvelles » éditions Victor Lecou 1852, réédition Hachette « La bibliothèque des chemins de fer » en 1856.
- « Le déluge à Paris » de Pierre Véron. le recueil de nouvelles « Les marionnettes de Paris » Éditions E.Dentu, 1862
- « Les ruines de Paris en 4875,documents officiels et inédits » de Franklin,Paris librairies Léon Willem et Paul Daffis 1875.Réédité par Flammarion en 1908 sous le titre « Les ruines de Paris en 4908 » édition très augmentée.
- « Archéopolis » de A.Bonnardot dans le recueil de nouvelles « Fantaisies multicolores » Castel Libraire éditeur 1859. Cette nouvelle est disponible ICI
- « Une ville ressuscitée, Pompéi ou Paris » de Ty. Parution « la vie Parisienne » N° 10 de la 10éme année. Samedi 9 mars 1872. (Réédition « Bulletin des amateurs d'anticipation ancienne et de Fantastique N° 10, Juin /Août 1992).
- « Paris depuis ses origines jusqu'en l'an 3000 » de Léo Clarétie 1892. Illustré par divers auteurs,Préface de Jules Clarétie, Charavay Fréres & Cie s.d ( c. 1886)
- « 5000 ans ou la traversée de Paris » de Edmond Haraucourt 1904. Paru dans « Le Journal » 22 Septembre1904,sous le titre « Cinq mille ans ans » (ou la traversée de Paris) réédité dans le recueil « Le gorilloide et autres contes de l'avenir,retrouvés dans la presse » ,Collection « Périodica » N°20 ,Edition « Apex » Gonfaron 2001 (Antarés)
- « L'inscription » de Eugène Fourrier en 1906. (Réédition « Bulletin des amateurs d'anticipation ancienne et de Fantastique N° 9, Février/Mars/Avril 1992).
- « Ci-gît Lutèce » de André Muller. Parution « La vie Parisienne » N° 30 52éme année. Samedi 25 Juillet 1914. (Réédition « Bulletin des amateurs d'anticipation ancienne et de Fantastique N° 11, Novembre 1992).
- « La vénus d'Asnières, ou dans les ruines de Paris» de André Reuzé Fayard 1924.
- « La culture de l'humanité » de Eugéne Conte. Editions Fifuiére 1937
- « Paris capitale des ruines – Archéopolis et autres contes » :
Anthologie de textes réunis et préfacée par Marc Madouraud, grand amateur et collectionneur de conjectures anciennes devant l'éternel. Cette excellente plaquette de 126 pages et composée de textes rares est parue en Décembre 1994 aux éditons Recto Verso collection « Idées et autres... ». En voici le détail :
- A. Bonnardot : « Archéopolis », pages 31 à 49.
- Ty: « Une ville enfouie et ressuscitée , Pompéi ou Paris ? », pages 51 à 56
- Léo Clarétie : « Les Ruines de Paris », pages 57 à 61
- Léo Clarétie : « L'an 3000 », pages 61 à 69
- P.-Max Simon : « Un congrès au XXXV° siècle », pages 71 à 78
- Octave Béliard : « Une exploration polaire aux ruines de Paris », pages 79 à 100
- Eugène Fourrier: « L'inscription », pages 101 à 105
- André Muller : « Ci-gît Lutèce !... », pages 107 à 112
Mais rares furent ceux qui firent la démarche de les placer dans une région glacière. Avec les données de l'époque, les scientifiques et donc par voie de conséquences les écrivains, pensaient que le futur de l'humanité serait fait de glace et de grands froids. Pour preuve le nom du Blog sur lequel vous êtes et qui évoque le roman de A.Valérie dont l'action se situe sur une terre envahie par les glaciers.
Voici donc un petit inventaire de ces « ruines de Paris » sous les glaces dont l'immense manteau de neige ne fait que renforcer son mystère et sa beauté :
- « Une exploration polaire aux ruines de Paris » De Octave Béliard. Lecture pour tous Juin 1911
- « Une expédition aux ruines de Paris » de Georges Spitzmuller. Quatre fascicules dans la collection « Les beaux romans d'aventures » couverture illustrée couleur de E.Ydondi
« L'hélioscope géant » N° 69 1923
« La cité disparue » N° 70 1923
« La fin d'une race » N°71 1923
« Yuki-Yako » N° 72 1923
Ces fascicules furent réunis en un seul volume la même année sans les couvertures couleurs sous le titre général « Une expédition aux ruines de Paris »
- « Paris en l'an 3000 » texte et dessins de Henriot. Henri Laurens éditeur 1934.
Je reste persuadé que cette liste est loin d'être complète et je na doute pas une seule minute que très bientôt quelques nouvelles références viendront s'ajouter à cette petite liste.
Un grand merci à Guy Costes pour ses précieuse informations
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