« La conspiration du silence, ou la révolution imprévue » par V.Gamma. A Paris chez l'auteur. Grande plaquette brochée et illustrée par Jean Feidel. Tirage limité à 500 exemplaires.
Le roman se déroule en France, dans une période qui finalement ressemble presque à la notre. Le pays est gouverné par un « clan » de bourgeois fortunés qui ne se préoccupent pas des attentes du peuple. De leurs cotés, les prolétaires sont mécontents, protestent et manifestent violemment. Le chef de l'état fait des promesses, on dépêche la troupe, on réprime...La classe plus aisée n'est pas en reste, car elle croule elle aussi sous les impôts, elle grogne, vitupère et vilipende une politique trop austère à leur égard. Mais la politique étant se qu'elle est, celle-ci trouve toujours une manière pour « endormir » le peuple et ce précieux somnifère elle va se l'approprier dans l'arsenal puissant non pas de l'apothicaire, mais dans le fourbis inépuisable de la science.
En effet la téléphonie sans fil vient de prendre une nouvelle ampleur et timide au départ, car ne pouvant satisfaire que les plaisirs égoïstes d'une classe privilégiée, elle se démocratisa par la suite pour atteindre toutes les couches sociales du pays. Un moyen pour nos chers dirigeants d'anesthésier les élans de protestation et de montrer que tous sont égaux face au génie de notre technologie.
Mais ce moyen pernicieux agissant comme une véritable drogue, est une manière plus radicale de lobotomiser les cervelles contestataires. Car outre la musique qui va ainsi envahir les ondes, c'est aussi les voix monocordes de nos chers parlementaires qui vont imposer leur dictat radiophonique. Alors comme tout objet inutile que l'on veut nous faire croire indispensable, le pays assiste à une véritable déferlante de cette petite boite qui va envahir notre quotidien : maisons, immeubles, hôpitaux, égouts, écoles et même les morgues....aucun lieu n'est épargné, on équipe même les niches à chien !
Cette fâcheuse invention bouleversa l'horizon de l'éducation car tout se fait à présent par ondes radio. Il est ainsi plus facile de contrôler l'éducation de nos enfants. D'ailleurs on supprime également les journaux, l'information sera désormais radiodiffusée, d'où la création d'un unique « ministère du son ».
Le mouvement est tel que la T.S.F est devenue le pôle autour duquel tout gravite :
« La France maintenant était un pays sommaire. Quarante millions d'individus avaient un petit poste de T.S.F. à la place de la tête et du cœur et vivaient ainsi. On vit avec si peu de chose ! Et il n'est pas du tout indispensable de penser par soi-même »
L'industrie se résume à la seule fabrication de ce produit et le pays serait probablement arrivé à sa perte sans l'intervention providentielle d'un groupe d'irréductibles ayant modifié le cour de l'histoire par un mouvement désormais célèbre et plus connu sous le nom de « conspiration du silence ».
Créé par un certain Léonidas Graphigny, il fut motivé par une sorte d'indigestion pour ne pas dire agression des ondes de toutes sortes qui venaient sans répit envahir son quotidien. Car en véritable drogue tympanique, tous les locataires de son immeuble ne pouvaient se passer de jour comme de nuit de cette épouvantable cacophonie sonore. Il envisagea les boules « Quies », de se crever les tympans, mais il comprit rapidement que s'il voulait aspirer à un certain calme il devait s'unir avec d'autres « naufragés du silence » et faire cause commune pour lutter contre l'envahisseur radiophonique.
Après quelques mois d'une rigoureuse organisation, de réunions, de projets et d'une collecte généreuse et variée dans toutes les couches de la société, les « conspirateurs » se réunirent lors d'une assemblée mémorable où furent mis en commun le produit de leurs nombreuses recherches. Forts de quelques fameux chimistes et physiciens, ils dévoilèrent alors la fameuse « boite à silence », contenant une précieuse poudre qui, lorsqu'elle s'enflamme, annihile pendant deux heures toutes ondes radioélectriques dans un rayon de deux cent mètres.
Ils envisagent alors la création d'une opération de vaste envergure avec des bombes de 5 kg, et même pourquoi pas avec des torpilles de 250 kg.
Mais le responsable de l'organisation prépare une opération d'une plus grande envergure encore. Grâce aux donations de généreux mécènes à l'oreille sensible, Il a fait construire dans le plus grand secret trois gigantesques postes émetteurs qui vont littéralement brouiller les émissions gouvernementales. Le but est simple :
« Tout un programme de pitreries a été élaboré, dans toutes les langues usuelles bien entendu, pour truffer les comptes rendus diplomatiques ou parlementaires. Là, on n'a pas craint d'aller tout de suite très fort, les auditeurs pouvant ne rien remarquer d'anormal.
Puis les conférences seront doublées, si j'ose dire, de parlottes obscènes. Un dur travail nous a permis de traduire en plusieurs langues, y compris l'espéranto, les volumes les plus épicés de l'enfer de nos bibliothèques »
En un mot un astucieux brouilleur d'ondes capable de contaminer cette soupe insipide et méphitique que nos politiques nous ont absorber jours après jours et qui rend nos cerveaux comparables à de la gelée de groseille. Ils veulent en fait transformer la téléphonie sans fil en un instrument de subversion sociale perfectionné.
De plus le génial Professeur Caprica , à la solde des anarchiste, vient également de mettre au point un appareil doué de la « réversibilité des ondes ». Il permettra d'utiliser pour le retour, le train d'ondes de l'aller. C'est pratique, car en effet avec cet appareil il sera possible :
« De rétorquer par voie de retour du courrier , si j'ose dire, au monsieur qui vous meurtrit le tympan ou vous bourre le crâne , ce que vous en pensez , avec bien entendu toute la crudité et toute la sincérité que mérite son agression »
La seconde invention, est tout aussi incroyable, il s'agit de « La captation systématique » :
« Je projette tout simplement un appareil qui cueillera au vol toute espèce d'ondes et les noiera pour ainsi dire dans des amortisseurs « ad hoc ». A moins que nous n'utilisions l'énergie ainsi récupérée pour quelque fin utilitaire, éclairage ou chauffage par exemple ».
Le plan fut mis à exécution et l'appareil à « réversibilité des ondes » fit merveilles. L'efficacité fut telle que les usagers en usèrent et abusèrent avec une grande facilité et dans cette joyeuse contamination des ondes le résultat fut tel que les syndicats de constructeur de T.S.F mirent tout en œuvre et dépensèrent sans compter pour tenter d'enrayer la menace. Mais on ne réprime pas aussi facilement un vent de contestation et cette révolution par les ondes se propagea aussi rapidement que se développa cette accoutumance pour le « sans fil ». Le gouvernement contre attaqua, mais la police et l'armée furent impuissants devant une telle marée hertzienne et ce n'est pas l'arrestation des dirigeants de cette redoutable « conjuration » qui enraya cette puissante machine anarchiste.
A présent la population éprouvait une crainte à tourner le bouton de sa radio, dans les lieux publics, toutes les boites diaboliques ne faisaient plus entendre leurs sonorités envahissantes, peu à peu le calme s'installa dans les rues et les foyers.
Les fabriques firent faillite et le bois des caisses ne servit plus que pour le chauffage. Les ordres radiophoniques des ministres furent à ce point déformés, que le gouvernement fut déstabilisé et réduit à sa plus simple expression.
La populace descendit dans la rue et rien ni personne ne parvint à les contenir. Une nouvelle république venait d'être proclamée :
« Portée au pouvoir par le flot d'une volonté populaire unanime et fermement décidés à faire respecter à faire respecter à l'avenir le droit au silence que possède chaque individu du fait de sa naissance sur le territoire de France »
La classe politique fut exilée dans « une zone de silence » car nul n'ignore qu'il est région sur la terre, hélas trop rares, que n'atteignent pas les ondes électriques et d'où, pareillement, elles ne peuvent s'élancer »
Une réglementation rigoureuse fut élaborée contre le bruit et l'émission radiophonique devint un privilège d'état. Seule fut permise l'écoute au casque et encore des émissions soigneusement sélectionnées et limitées à une heure par jour. En espérant que les nouveaux « patrons » ne détourneront pas à leur profit de tels avantages. Mais tout le monde est conscient qu'il faudra des années afin de réparer le mal causé par ce fléau radio-électrique.
Nous laisserons à l'auteur le mot de la fin :
« Un nouveau Statu quo a succédé à l'ancien. Que durera-t-il ? Suivant l'éternelle labration du monde peut être chemine t-il déjà obscurément une conspiration, moins que cela une opposition, moins encore une rancune contre le nouvel ordre des choses. Mais d'ici qu'elle ait fait sa route, qu'elle ait mûri, les Français en ont au moins pour dix ans pendant lesquels ils ne pourront ; si j'ose dire, voir la musique en peinture »
Dans ce rare roman, hélas tiré à très peu d'exemplaires à compte d'auteur, ce Mystérieux « Gama V » aborde une thématique assez inhabituelle et peu rencontrée dans notre domaine : La disparition du bruit ! Et si les inventions majoritairement destructrices, empruntent aux ondes électromagnétiques leurs terribles pouvoirs de propagation, rares sont celles qui seront utilisées pour atteindre ce niveau de quiétude parfait.
Thème écologique avant l'heure et assez anecdotique dans sa forme à tel point que la précieuse encyclopédie de Pierre Versins, ne fait pas état de ce roman pas plus d'ailleurs que celui de Aghion et Saint-Granier « La république des muets » dont vous pouvez lire le résumé sur les pages de ce blog.
Il semblerait que la toute première fois où le sujet soit abordé se trouve dans le roman de Rabelais et son fameux « quart livre » dans un chapitre particulièrement cocasse où l'auteur fait état de « paroles gelées ». Ce passage fut d'ailleurs repris dans une série d'articles publiés dans la revue « La science illustrée » et consacrés au génie inventif de Rabelais sous le titre « Les fantaisies scientifiques de Rabelais ». Cet article fort drôle, réalisé par F.Faideau et superbement illustré par A.Robida, est le dernier de la série et se trouve dans le N°370 de l'année 1894 (ne pas se référer au N° indiqué dans le « Versins »). Le même Robida qui utilisera d'ailleurs avec Jules Lermina, le son comme une technologie pouvant générer de l'énergie utilisable pour les accessoires de la vie courante dans son indispensable roman « Mystére-ville »
Mais il faut avouer que le silence ne fut pas une des préoccupations majeures de nos écrivains et si dans « La république des muets » nous rencontrons une des rares anticipations à condamner totalement l'humanité au silence le plus absolu, il est quasiment impossible de trouver un seul roman où la terre se verra ainsi privée de son précieux organe vocal ou tout du moins aspirer à une tranquillité toute relative par l'éradication du bruit.
Versins encore lui, nous signale en 1963 un album de Jidéhem & Vicq « La bulle du silence » où visiblement le père de Sophie invente un système capable d'absorber les sons. Par contre notre « encyclopédiste » fera l'impasse pour un héros dont il semble apprécier les exploits : Spirou. Il faut dire que les inventions diverses foisonnent dans la totalité de ces récits et il serait fastidieux de toutes les répertorier : Sacré Champignac !
Dans une de ses aventures il nous est possible de découvrir « L'aspion » appareil révolutionnaire rencontré pour la première fois dans « La boite noire » et que l'on retrouve dans l'album « Les faiseurs de silence » (dans la revue « Spirou » en 1979 et en volume en 1984 N° 32). Cette invention révolutionnaire, est capable d'absorber toute émission sonore, un véritable aspirateur à bruit ! D'ailleurs un clin d'œil sera fait à « La bulle du silence » cité plus haut, car dans cette aventure un des protagonistes lit l'album de Jidéhem & Vicq.
Une thématique donc quasiment inexistante et il faudra me semble t-il attendre la fin des années 80 pour que se profile de nouveau la sombre menace des émissions sonores. En effet dans son diptyque « L'ère du pyroson » (« De silence et de feu » et « Les enfants du silence » édition Fleuve noir anticipation N°1683 & N° 1690) Claude Ecken nous dépeint un terrible avenir. Sur terre le moindre bruit se transforme en vibration et en chaleur, déclenchant incendies et explosions. Nombreux sont alors, et pour cause, ceux qui préfèrent un monde de silence et s'opposent aux expériences visant à recréer une « atmosphère » normale. Mais quoi de plus naturel lorsque le bruit d'une tuyauterie suffit à le faire fondre ou que la simple chute d'un objet aussi banal qu'un livre suffise à allumer un incendie. Un cycle original et inventif qui vient un peu enrichir une bibliographie relativement pauvre.
En raison d'une telle indigence du théme, l'ouvrage de ce mystérieux « Gamma V » est d'autant pus important qu'il reste un modèle assez unique en son genre. Dans cette « conspiration du silence » au titre absolument merveilleux, toute la saveur réside dans cette apparition de cette dictature sonore qui va utiliser la voix/bruit, afin de soumettre tout un pays à sa volonté. En forçant la population à une certaine dépendance d'un poste émetteur et en lui faisant croire qu'il est un objet de vénération, dont la fonction est de se substituer à toute autre forme de communication, nous nous retrouvons dans le cadre d'une dystopie dans la même lignée que le « Nous autres » de Zamiatine ou « La Kallocaïne » de Karin Boye.
Concevoir un tel lavage de cerveau à une aussi grande échelle, voilà une idée qui mérite toute notre attention car il est alors possible d'imaginer, sans l'intervention de ce mouvement « d'anarchistes », un monde sous contrôle (ce qui est pratiquement le cas) avec la mise en place d'une forme de paranoïa et toutes les conséquences que cela implique sur la vie quotidienne des individus : Dénonciation, arrestations abusives, contrôle et surveillance de chaque individu.....
A ce titre, la troublante signature de l'auteur qui se caractérise par un « V » pourrait alors s'apparenter au célèbre « V pour vendetta » la bande dessinée de David Loyd et Alan Moore (1982) et qui fut portée à l'écran en 2006 par James Mac Teigue. Certains rapprochement sont d'ailleurs assez curieux et il suffit de mettre en parallèle « La conspiration de la poudre » (Organisation anarchiste dirigé par Guy Fawkes dans la bande dessinée) et « La conspiration du silence » (Dont les actions sont similaires) avec des intentions de lutte contre un régime en place dans un monde où le peuple est soumis à un gouvernement corrompu qui utilise un mode de communication unique, en l'occurrence les médias ( dans le roman de Gama V, l'utilisation systématique de la radio comme seul et unique moyen de communication symbolise le média) pour asservir le peuple, contrôler ses pensées, ses désirs, en un mot les formater de façon identique.
Manipulation radio surveillance pour l'un et télé surveillance pour l'autre, obéissance aveugle des citoyens par une sorte de drogue auditive, nous retrouvons toutes les caractéristiques d'une œuvre pessimiste si ce n'était le ton un peu humoristique utilisé par l'auteur.
Un ouvrage donc assez peu connu et qui mériterait toute l'attention de nos amis éditeurs, en quête d'œuvres originales et singulières.
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