« La maladie du papier » de Eero Tolvanen. Imprimé par A.Deurve et Cie, pour le compte des papeteries Ruysscher. Cartonné, 32 pages, illustrations originales de Sempé, tirage limité numéroté.1964.
Un soir après une long et harassant voyage le héros du roman rentre chez lui fatigué. Préférant la marche il parcours ainsi sous une fine pluie, le chemin le conduisant à son domicile. Rien d'anormal en apparence, si ce n'était une odeur qui flotte dans l'air. Une fragrance entêtante, pas vraiment désagréable bien que légèrement piquante, comme un léger relent de moisissure. Il arrive chez lui, se couche presque tout habillé et s'endort d'un sommeil de plomb.
Le matin au réveil son être est sous l'effet d'une sensation bizarre, comme si quelque chose d'anormal venait de se produire. Et toujours cette satanée odeur qui semble occuper à présent tout son espace vital. C'est au moment où il porte les yeux sur sa bibliothèque qu'il constate la chose, énorme, incroyable abominable ! En lieu et place de ses précieuses reliures il ne reste plus qu'un tas de cendres grisâtres. Tout sa bibliothèque est ainsi réduite à néant et pas que.....Dans son portefeuille le salaire qu'il venait de recevoir en grosses coupures vient également de subir le même sort. Sur son bureau la seule preuve de l'existence des précieuses feuilles, factures, papier à lettre...tout est réduit en poussière. Il croit être sous l'emprise d'un mauvais rêve mais très vite il s'approche de la fenêtre, une rumeur est en train de monter. Dans la rue, il y a comme un vent de panique, les gens semblent comme sous l'emprise d'une terreur profonde. Visiblement le mal mystérieux vient de frapper toute la ville. La ville ? Que dis-je la France, la terre entière....Toute la population pense que le fin du monde vient d'arriver et pour cause. Plus de papier, plus de monnaie, le système économique s'effondrent. Serait-ce la fin de notre civilisation ? La populace est dans la crainte d'une nouvelle forme de guerre bactériologique. La nourriture devient de plus en plus difficile à trouver, non seulement en raison de la disparition de l'argent en espèce mais aussi parce que les emballages subissent un sort identique. Seules les conserves restent intactes.
Le gouvernement va tenter de réagir rapidement et de faire frapper un maximum de pièces de monnaies. Le métal or et argent deviennent des valeurs refuges, on spécule, on s'entredéchire...Dans la rue
la foule au début relativement calme commence à s'échauffer, mais que fait le gouvernement ? Les boutiques sont prises d'assaut, c'est un carnage. En compagnie de son amie, le héros résigné assiste à
une scène improbable, celle de l'attaque d'une boucherie ou un homme ressort avec un quartier de viande sur l'épaule mais qui sera immédiatement submergé par un groupe d'individu l'écume aux
lèvres.
Tout cela prend de telles proportions qu'il faut dépêcher la troupe. Un couvre feu est instauré. Les militaires patrouilles dans les rues, des chars prennent position aux carrefours stratégiques.
Finalement les états du monde entier prennent des dispositions. Le monde sera régi par un nouveau système économique. Le tableau noir et la craie redeviennent à la mode, constituant un moyen fiable
pour communiquer par écrit. Toutefois un nouveau mal s'empare de la planète : La fringale de lecture. La disparition des livres se fait cruellement ressentir et là aussi il va falloir improviser,
développer de nouveaux moyens de communications. Des sociétés et des clubs se forment pour la diffusion orale et de mémoire des textes littéraires. L'art oratoire va connaître un renouveau et la
radio voit le nombre de ses auditeurs exploser. De nouveau les hommes descendent dans la rue pour écouter les orateurs, les crieurs publics, la grande mode est désormais aux discours et à la diatribe
bien affûtée.
Puis un jour, un savant de génie trouva la formule d'un papier indestructible à cette étrange maladie de la cellulose et le monde se mit à nouveau à tourner au rythme des rotatives. Nouveaux billets,
nouvelle économie la fringale de livres fut à nouveau assouvie, l'écriture récupéra sa place d'antan et cette maladie affection brutale ne deviendra bientôt plus qu'un mauvais souvenir, un affreux
cauchemar pour collectionneur compulsif. Mais comme le termine si bien l'auteur :
« La maladie du papier nous a-t-elle enseignée quelque chose ? Non. Nous voilà de nouveau noyés dans la paperasserie »
« La Disparition Du Papier »: Un Thématique Peu Utilisée
Pour nous qui vouons au papier un amour incommensurable, que se passerait-il si le papier disparaissait ou pire, si une étrange maladie s'attaquait d'un façon impitoyable à nos précieux volumes ?
Cette thématique cauchemardesque fut au moins abordée dansquatre ouvrages d'anticipation, ce qui est peu en regard des autres textes traitant de la fin du monde ou tout du moins de la fin de la
civilisation. Car imaginez un peu le monde civilisé privé d'un tel support.
Le premier, à ma connaissance, à avoir utilisé cette bien triste hypothèse est René Zuber dans sa nouvelle « L’Amylobacterpapyrophage ou la fin
du papier » et abordant la problématique de cette bactérie qui attaque nos précieux volumes et des conséquences qui en découlent,de la même façon que le fera quelquues années plus
tard Eero Tolvanen. Dix ans aprés,Georges Blond dans « Les naufragés de Paris »,sera plus prolixe en choisissant le roman pour nous décrire cette
sinistre apocalypse et nous met clairement en garde : Il ne s'agit nullement d'un roman d'anticipation ! Comme pour vouloir se faire le témoin d'une catastrophe qui est bien arrivée, acteur
impuissant d'un drame épouvantable dont est frappé l'humanité.
« A partir d'un fait d'abord presque imperceptible, les conséquences s'enchaînent irrésistiblement. Un grain de sable dans la trop complexe mécanique de notre civilisation et, progressivement,
tout s'arrête. Plus de journaux ni de livres ; les transports sont paralysés, le ravitaillement devient impossible, la lumière s'éteint. La ville prend son visage des grands désastres, on revoit les
exodes historiques, le sauve-qui-peut des égoïsmes.... »
Un roman traité avec une certaine froideur, un ton proche du documentaire, dans la plus pure tradition du roman catastrophe.
En 1956 le nouvelle de Claude Bengt « Quand le papier disparut », fera preuve d'une certaine originalité car le professeur Gammus y
utilise les ondes acoustiques, en l'occurence celle de Bach pour son expérience, les harmonise avec une fréquence de son invention et la fusion des deux provoquera une sorte de réaction en
chaîne qui, dans le monde entier, va détruire chaque atome de cellulose.
Quant au quatriéme et dernier texte recensé, vous venez d'en prendre connaissance avec ce résumé de l'ouvrage de Tolvanen un roman beaucoup plus léger que le précédent, faisant preuve d'une bonne
dose d'humour lorsque l'on sait que cette plaquette fut demandée pour un...fabricant de papier.
Voilà une thématique rarement exploitée, constituant un véritable cauchemar pour bibliophile ou tout simplement l'amoureux de la littérature et qui trouve ici avec ces deux ouvrages? toute la
force et l'originalité d'un monde privé de cette substance si noble et généreuse et source de la plus belle invention de l'humanité.
Toutefois il vous faudra beaucoup de chance ou quelques espèces sonnantes et trébuchantes pour trouver cette « pièce » bibliophilique tirée à très peu d'exemplaires qu'est « la maladie du papier
».Ouvrage agrémenté de sept compositions de Sempé dont quatre sur une double page dépliante et dont la plume géniale et affûtée vient donner plus de poids à cette histoire oscillant entre la drame et
la comédie
En tout cas une thématique passionnante qui devrait à mon avis donner des sueurs froides aux maniaques de l'accumulation de livres que nous sommes.
Après « La fin de l'or » (P.Hamp, éditions Flammarion 1933), « La mort du fer » ( S.S.Held , éditions
Fayard 1931) « La disparition du rouge » (François Pafiou, Nos loisirs N°11 15 Mars 1908)..., nous voici confronté à un nouveau fléau qui, dieu me garde,
ne restera qu'à l'ébauche dans les cervelles enfiévrées de nos écrivains de l'imaginaire.
- « L’Amylobacterpapyrophage ou la fin du papier » Nouvelle de René Zuber.Dans la revue « la Feuille Blanche », spécial « Eloge du papier », illustrations intérieures par Jean Effel.1948.
- « Quand le papier disparut » Nouvelle de Claude Bengt. Dans la revue « Lectures pour Tous », N°31, juillet 1956.
- « Les naufragés de Paris » de Georges Blond. Le livre contemporain .1959. Cartonné avec jaquette. Réédité au format de poche, éditons Presse Pocket
N°826. 1971.
- « La maladie du papier » de Eero Tolvanen. Imprimé par A.Deurve et Cie, pour le compte des papeteries Ruysscher. Cartonné, 32 pages, illustrations
originales de Sempé, tirage limité à 500 exemplaires.1964.
En prime dans cette charmante petite nouvelle toujours en provenance du « Crapouillot de l'an 3000 », l'auteur nous évoque un futur assez cauchemardesque, pour les amateurs de vieux papiers que nous sommes. En « anticipant » la disparition du support écrit au profit de cette sorte de « numérisation » avant l'heure il nous livre ainsi les prémices d'une mort annoncée pour des générations d'amateurs de ce bon vieux journal. Procédé tombant en désuétude et qui semble vivre à l'heure actuelle, comme pour faire écho à cette nouvelle, des moments bien difficiles.
Vieux Papiers
Regarde, grand-papa, ce que je te rapporte du grenier ?
Et mon garnement de petit-fils jette sur mon bureau un tas de paperasses poussiéreuses,
Mandel, lui dis-je avec sévérité, je t'ai défendu de fouiller dans les combles. Tu y salis tes effets,.
Mes yeux se posent sur le paquet crasseux et jauni exhumé par mon petit-fils. Où a-t-il bien pu dénicher cela ? Figurez-vous un amas de grandes feuilles doubles divisées en colonnes et couvertes de caractères d'imprimerie que coupent ça et là des titres. Les premières pages de ces feuilles portent des frontispices variés, de types divers. Je compulse, pris d'une curiosité émue devant ces vestiges d'un passé si lointain.
Qu'est-ce que c'est que ça, dis, hein, grand-papa ?
Les grands-pères ont des trésors d'indulgence pour les
curiosités de leurs -petits-enfants. J'oublie ma réprimande. Et puis, à tenir sous mes doigts ces papiers qui datent de plusieurs siècles, je me sens un peu troublé, comme » lorsqu'on touche des reliques. Mon esprit évoque soudain l'existence primitive de nos ancêtres.
- Mais dis, grand-papa, qu'est-ce que c'est que ça ? Répète Mandel impatient.
- Ce sont des journaux.
- Des journaux ?
- Oui, ce qui était la presse d'autrefois.
- Dis encore, hein, quelle presse d'autrefois ?
Allons, une fois de plus je n'esquiverai pas les questions embarrassantes, les explications détaillées !
La presse n'a pas toujours été ce qu'elle est aujourd'hui, mon petit. Aujourd'hui, de minute en minute, les nouvelles mondiales arrivent à domicile par l'intermédiaire de l'Agence Internationale, et s'inscrivent, automatiquement sur le transparent lumineux que tu vois dans l'antichambre et qui fait partie de l'ameublement à l'instar des chaises et des tables! Les opinions, les commentaires des hommes politiques et des journalistes sur les questions du jour te sont fournis par eux-mêmes. A heures déterminées, tu n'as qu'à décrocher le récepteur de l'appareil téléphonique-presse pour entendre leur parole. Mais autrefois ,je te parle d'il y a mille ans ! , la presse était imprimée. C'était ce qu'on appelait les journaux. Il y en avait beaucoup et qui se disputaient les nouvelles , comme si une nouvelle pouvait être jamais monopolisée ! Tu as là sous les yeux les exemplaires de quelques-uns de ces journaux : le Journal, le Matin, l'écho de Paris, le Petit Parisien, le Petit Journal, etc....
Pourquoi ces noms-là, dis ?
C'est ainsi qu'ils se distinguaient les uns des autres. On les achetait tous les matins.
Tous les matins !
Cela te semble extraordinaire que des hommes aient pu attendre vingt-quatre heures, et même davantage, l'annonce des événements. Sache que certaines informations étrangères n'étaient connues qu'après deux ou trois jours de délai.
Deux et trois jours !
- Eh oui ! Nos ancêtres n'avaient su tirer de l'électricité que de médiocres avantages, et la dépêche, avant d'être mise imprimée sous les yeux du public, subissait dans les salles de rédaction et dans les ateliers de composition une multitude d'opérations qui semblent puériles aujourd'hui.
Mandel regardait avec vénération ces journaux.
- Vois la date de celui-ci : 1932, c'est l'époque où le fameux dictateur dont- tu portes le prénom fat presque roi de France et d'Allemagne.
Mon petit-fils s'éloigna, rêveur, presque inquiet de sa découverte qui lui révélait des âges extraordinaires. Ce soir-là, en compagnie de ces vieux papiers, je vécus dans le passé des heures amusantes à m'intéresser aux questions mesquines et incompréhensibles qui agitaient et passionnaient les hommes singuliers de cette époque.
André Charpentier
Sur l'auteur
Il entre dans le journalisme à 19 ans. Il collabore au « Salut Public », à la « Presse Nouvelle » et à « l'Homme Libre » avant de devenir rédacteur du « Matin ». Il produit de nombreux feuilletons et contes pour divers journaux, revues et magazines. Auteur prolifique chez tous les éditeurs populaires, on lui doit chez Ferenczi un personnage pittoresque le policier français assisté de son chien Croûton. Avec ou sans chien, ces romans rondement menés demeurent fort distrayants.
Commentaires
Rejoignez le groupe des Savanturiers sur Facebook
"A ma mort, je souhaite léguer mon corps à la science-fiction" Steven Wright. Acteur et réalisateur Américain
Découvrez cette nouvelle page entièrement consacrée à Henri Lanos
Pour une Esquisse Bibliographique de Maurice Renard , Père du" Merveilleux Scientifique"
Ici on aime l'aventure et les voyages extraordinaires
Un long métrage d'un jeune réalisateur qui fleure bon les séries d'antan
Derniers articles en ligne
Une exposition incontournable à la BNF, toute en finessse et érudition: Magnifique!
Cliquez sur l'image pour accéder à l'article et les photos de l'exposition
L'auberge entre les mondes: Péril en cuisine" de Jean-Luc Marcastel, pour lire l'article cliquez sur l'image
"Sherlock Holmes aux enfers" de Nicolas Le Breton. Pour lire l'article, cliquez sur l'image
"Espérer le soleil" de Nelly Chadour .Pour lire l'article, cliquez sur l'image
"Pierre fendre " de Brice Tarvel pour lire l'article cliquez ici
"La fin du monde est pour demain" pour l'article cliquez sur l'image
"Le monstrologue" pour lire l'article, cliquez sur l'image
"les planétes pilleuses" de Jean-Pierre Laigle. Pour lire l'article, cliquez sur l'image
"Une journée en l'an 2000" Pour lire la nouvelle cliquez sur l'image
Maurice Renard par Jean Cabanel. Cliquez sur l'image pour lire l'article
Pour accéder à l'article, cliquez sur l'image"
"L'aviation: journal de bord"
Pour l'ire la nouvelle, cliquez sur l'image
Pour accéder à l'article, cliquez sur l'image.
Pour accéder à l'article, cliquez sur l'image
Pour accéder à l'article, cliquez sur l'image
Pour accéder à l'article, cliquez sur l'image
Pour accéder à l'article, cliquez sur l'image
Pour accéder à l'article, cliquez sur l'image