"Le maître du temps" de Guiseppe Lipparini
Parution dans la revue « Les annales » du 26 Février au 9 Mai 1909 N° 1340 à 1350
Le professeur Antonio Schwarz archétype de l'inventeur à longue barbe blanche, est l'objet en ce jour mémorable de l'académie de sciences d'Oppendorf, de l'attention d'une ancestrale mais savante assemblée.
C'est un jour mémorable pour l'histoire de l'humanité,car cet homme de génie vient de mettre au point et ce par le plus grand des hasards (une fois n'est pas coutume) un appareil « révolutionnaire » permettant de photographier le passé. En effet selon son principe :
« Rien dans l'univers n'étant perdu, l'énergie que je développe en faisant un mouvement doit subsister. Autrement dit, à chaque acte de l'homme correspond une projection de cet acte dans l'espace. Cette projection se conserve, si un instrument spécial la reçoit, il peut après une suite de siècle, reconstituer l'acte qui l'a produite. Cet instrument doit dans son principe se rapprocher de l'œil humain. »
En un mot, tout mouvement se conserve dans l'espace et le temps. Basé sur le principe de la chambre noire, son appareil photographiera dans un premier temps un roi Assyrien, mais surtout et voilà une chose vraiment curieuse, une sorte de polype gigantesque et recouvert d'une multitude d'yeux et possédant semble t-il une structure osseuse. Tout laisse entrevoir dans cette forme monstrueuse un mal, une intelligence néfaste et surhumaine.
Finalement poussé par l'incrédulité de ses confrères, l'éminent Schwarz va perfectionner sa technique en adaptant son invention sur un appareil cinématographique dans l'intention de créer « La société internationale pour la photographie du temps ».
Pour les septiques du groupe,il projettera un véritable film historique ou l'assemblée en transe assistera aux funérailles de Jules César mais également à une scène apportant la preuve irréfutable que l'homme existait déjà sous une forme évoluée il y a cent siècles.
Cela succite une forte indignation de la part du révérend Hauptmann, fortement opposé à l'invention du professeur, ne voyant en tout cela que sottises, balivernes, une supercherie et un moyen détourné utilisé par un mécréant afin d'afficher sans pudeur des idées allant à l'encontre de la religion et de la bonne morale.
Emporté par une bouffée mystico religieuse, le représentant de dieu soulèvera le peuple contre ce suppôt de Satan et celui-ci dans un ultime espoir de convaincre la population du bon fonctionnement de son appareil tentera de filmer une scène venant de se dérouler quelques heures auparavant.
La pauvre homme y parviendra,mais malheureusement pour découvrir sue la pellicule que sa propre femme le trompe avec un autre.....décidemment il n'y a pas de justice !
Triste invention que cette machine à « démasquer les cocus ».
Dégoûté d'une « humanité indigne de son génie », il fera exploser sa maison, emportant avec lui son merveilleux secret.
En guise de conclusion.
Guiseppe Lipparini nous livre avec ce court roman, une histoire assez originale et fortement teinté d'humour et d'ironie.Mes recherches ne comportent pas d'autres traces de romans d'anticipations venant de cet auteur.
Le texte se perd souvent dans un drame sentimental, mais cette idée d'une « société pour la photographie du temps » ne manque pas de faire sourire. Comme bien souvent, le savant sera une fois de plus victime de son génie et sera forcé de se faire disparaître avec son invention....imaginez s'il avait monté une agence de détective privé, avec sa machine il aurait fait fortune.
A noter pour terminer, l'allusion à cette race antédiluvienne et citée par l'auteur et que l'on trouva déjà évoqué dans un autre roman tout aussi remarquable « Force ennemie »de John Antoine Nau (pseudo d'Eugéne Torquet) : L'ombre de Cthulhu et de ses rejetons n'est pas loin !
« Le troisième car on montrait une créature pareille à un polype, dont les bras seraient terminés par des mains de forme presque humain. Un millier d'yeux resplendissaient sur toute la surface du corps. Les chairs étaient flaques comme celles des poulpes, mais laissaient apercevoir une solide structure osseuse. Dans cette masse informe, semblable à un animal d'espèce inférieure, palpitait une force d'intelligence et de volonté, dont on ne voyait pas le principe, mais que chacun sentait en contemplant l'image. N'était-ce pas une créature d'un monde inconnu supérieur au notre ? »
Voici donc révélé un autre de ces petits trésors qui dorment bien sagement au plus profond des anciennes publications, dans l'attente d'être exhumés pour le plus grand plaisir des lecteurs.
A propos de l'auteur
Il est né à Bologne le 2 septembre 1877 et occupe déjà au début du 20éme siècle une des premières places dans la littérature Italienne. D'un caractère fier et indépendant il est le critique craint et respecté du Marzocco, journal Florentin répandu dans le monde entier.
Poètes (« les rêves » 1898, « Le miroir des rose » 1898, « Poèmes et élégies » 1908) il sera également un critique réputé et redouté. Un volume de ses essais de critique paraîtra sous le titre « En cherchant la grâce » (Cercando la Grazia).
Mais c'est surtout en tant que romancier que sa réputation va se forger. En 1899 il publie « Eloge des Eaux » suite de récits en prose, écrits en un style emprunté aux grands classiques du 16éme siècle. Suivront « L'Ombrosa » (la feuillée) en 1900 et sa suite « L'auberge des trois mares » et « Le maître du temps »
Voyons un peu le regard porté à l'époque sur ce texte d'anticipation :
« Cette critique spirituelle et ironique des œuvres de Wells et des universités Allemandes révèle les qualités de style et le talent du romancier. A l'action principale la découverte fantaisiste de la photographie du temps par le Professeur Schwarz, type achevé de vieux savant, s'ajoute l'intrique amoureuse de deux rivaux qui se disputent le cœur de Margherita, fille de l'illustre astronome ; de là, une variété de scènes comiques attestant la verve juvénile de l'auteur et contribuant au succès de ce roman si original »
Félicie Roussille traductrice du roman
Le thème de la photographie « Temporelle »
Dans les romans conjecturaux, il y a quatre façons de « visiter » le passé de notre histoire :
1 -La bonne vieille fouille archéologique
On découvre des objets inertes, témoins muets de gloires passées qui bien souvent entraîneront une relecture de notre propre histoire. Ou alors ces mêmes fouilles conduiront l'explorateur à découvrir une monde « caché » témoin d'une époque, majoritairement préhistorique et qui est parvenue à survivre jusqu'à notre époque (ou celle ou vie le héros de l'histoire)
- « La tempête universelle de L'an 2000 » du colonel Royet (journal « A l'aventure du N°55/ 16 juin 1921 au N°59/14 juillet 1921)
- « Archéolopolis » in « Fantaisies Multicolores de A.Bonnardot chez « Castel Libraire Editeur 1859
- « Les ruines de Paris en 4875, documents officiels et inédits » de Franklin Librairies « Léon Willem et Paul Daffis » 1875
Ceci pour le premier cas de figure et pour le second cas :
- « La vallée perdue » de Noëlle Roger Editions Reflets Genève 1949
- « Nira Australe Mystérieuse » de Eugène Thébault Edition Geldage 1930
- « La cité sans soleil » de Albert Bonneau Tallandier 1927 « Bibliothèque des grandes aventures »
2 - Faire venir le passé à soi en ressuscitant ou en ramenant à notre époque de manière volontaire ou fortuite des gens ou des animaux d'une autre époque :
- « L'effrayante aventure » de Jules Lermina. Tallandier « Les romans Mystérieux » 1910*
- « Quand le mammouth ressuscita » de Alex Begouen Librairie Hachette « collection prix Jules Verne »1928
- « L'homme qui réveille les morts » de Rodolphe Bringer et Georges de La Fouchardiére Albin Michel 1918
- « Jadis chez aujourd'hui » De Albert Robida, court roman se trouvant dans l'ouvrage « Kerbiniou le très madré » page 189 à 290. Paris Librairie Armand Colin 1903.
- « 10 000 ans dans un bloc de glace » de Louis Boussenard, Marpon et Flammarion 1890
3 – Le voyage dans le temps soit par l'intermédiaire d'une « machine » soit par une phénomène « mystérieux », hypnotique, magique, naturel ou non
Dans le premier cas de figure :
- « El Anacronopéte » de Enrique Gaspar. Editions « Bibliotéca Arte y Letras » Publié en 1887 mais rédigé en 1881
- « La machine à explorer le temps » H.G.Wells Mercure de France 1899 (un classique impossible à ne pas citer)
- « Aventures d'un voyageur qui explora le temps » de Octave Béliard « Lecture pour tous » Janvier 1909 N°4 page 365 à 376
- « La belle Valence » de Théo Varlet & André Blandin, Librairie Edgar Malfére « Bibliothèque du Hérisson » 1923
- « Le voyageur immobile » de Alain de St Ogan et Camille Ducray, Editions Sociales Françaises 1945
- « Le voyageur imprudent » de René Barjavel, Edition Denoël 1944
Dans la deuxième possibilité :
- « L'horloge des siècles » de Albert Robida, Editions Félix Juven 1902
- « Le brouillard du 26 Octobre » de Maurice Renard dans le recueil « Mr D'outremort », Louis Michaud 1913
- « Les semeurs d'épouvante » de Fernand Mysor, Bernard Grasset 1923
En ce qui concerne le « Voyage temporel », qui devrait faire l'objet d'un article entier car les références sont nombreuses,je vous invite a consulter le passionnant article de Joseph Altairac « Mais qui donc a inventé la première machine à voyager dans le temps » que l'on retrouve en préface de la réédition de « La belle Valence » cité plus haut et que l'on trouve dans le volume N°1 de la collection « Classique » de chez Encrage. Cet éditeur très éclectique envisageait l'édition de classiques de la science-fiction, hélas....le projet se termina avec ce magnifique album consacré à Théo Varlet « L'épopée Martienne »
Terminons à présent sur le quatrième point qui nous intéresse dans le thématique du roman de Lipparini :
4 « Le voyage dans le temps par l'image »
Si les appareils permettent de retransmettre le son et l'image au moyen d'un écran (ancêtre de la télévision) appelés « Téléphote ou Télétroscope » (H.Lanos), »Téléchromophotophonotétroscope (Didier De Chousy) ou » le journal Télephonoscopique » Albert Robida) sont relativement courants dans la vieille anticipation,
Fixer sur pellicule ou plaque photographique des moments de l'histoire par contre n'est pas un procédé relativement courant et je vais m'efforcer de faire un récapitulatif des œuvres qu'il m'a été possible de consulter
- « Récits de l'infini » (Lumen & rêves étoilés) de Camille Flammarion 1872, nombreuses éditions
- « L'historioscope » d'Eugène Mouton (Mérinos) Dans le recueil de nouvelles « Fantaisies » G.Charpentier éditeur, 1883 pages 223 à 267
- « Le maître du temps » de Giuseppe Lipparini. Parution dans la revue « Les annales » du 26 Février au 9 Mai 1909 N° 1340 à 1350
- « Les trois yeux » de Maurice Leblanc. Paru initialement dans la revue « Je sais tout » en Juillet 1919. Edition en volume chez Pierre Lafitte 1921. - « Les Bacchantes, roman contemporain » de Léon Daudet, Edition Flammarion 1931
- « L'Ombre du passé » De Ian Efrémov. Dans le recueil de nouvelles « Récits, contes scientifiques » Editions en langue étrangères Moscou 1954, pages 9 à 55
- « Le siège de Syracuse » D'Alexandre Arnoux, Albin Michel 1962
- « Avant l'aube » de John Taine 1934 pour l'édition originale (Baltimore, Williams Wilkin) Collection « Outrepart II » La proue la tête de feuille 1971, collection dirigée par Pierre Versins, pour l'édition Française
Pour terminer et en guise de conclusion un petit mot rapide sur la revue « Les annales politiques et littéraires » qui était une revue hebdomadaire, elle fut créé le 22 avril 1883 par Jules Brisson mais dont le fils Adolphe Brisson devint le principal animateur. En 1917 la revue tirait à 200 000 exemplaires et en 1919, Pierre Brisson,fils de Adolphe et futur directeur du « Figaro » y entra comme secrétaire de direction avant de prendre les commandes du journal en 1925.
Les « annales » poursuivront leur publication jusqu'en 1970.
Cette revue nous intéresse plus particulièrement pour avoir publiée un roman d'Albert Robida :
« En 1965 » du N° 1896 (26/10/1919) au N°1908 (18/1/1920). Ce Texte répertorié dans l'ouvrage de Philippe Brun et intitulé « Albert Robida sa vie et son œuvre » Edition Promodis 1984 précisé à la page 178 que ce texte n'avait fait l'objet d'aucune publication en volume.
En fait cette œuvre fut rééditée en Italie en 1981 « Edizioni Frontiera, Sanremo » un tirage confidentiel à 250 exemplaires et qui est un fac-similé, en Français du texte paru dans « Les annales »
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