« Les Stas,Journal D’un Dieu » De Raymond Caen: Humour Et Anticipation!
Éditions des trois mousquetaires.1950 Broché in-12 de 222 pages. Jaquette illustrée.(Bulletin des amateurs d'anticipation ancienne et de littérature fantastique N°1.Avril 1997, article augmenté et modifié)
Tout commence, comme il se doit par un pur concours de circonstances, appelons cela : le hasard ! Un événement extraordinaire qui conjugue la rencontre simultanée de différents produits, associée à l'absorption d'un fromage en conserve. Le résultat de cette étonnante combinaison, n'en est pas moins édifiant puisqu'elle va permette à une famille entière de se « stabiliser ». Curieux terme, pour un bien singulier processus dont nous allons ici même tenter d'en définir les différentes conséquences.
L'histoire nous en est ainsi racontée par le dernier des « stabilisés » ou « Stas », vivant au 28éme siècle soit en l'an 3214 après Popoff ! Les pages de son journal nous exposent ainsi l'extraordinaire longévité de ces immortels à travers une bien curieuse histoire de l'humanité. Un témoignage assez cocasse où va défiler toute une galerie de personnages hauts en couleur et dont le destin ne pourra que prêter à une franche rigolade. Il y est question de Léopold, le dernier de sa race qui témoigne des affres de la vie de Hector, frappé de « stabilisation » dans une situation somme toute assez flatteuse, mais gênante lorsqu'elle est définitive! De guerre lasse, il finira par se brûler vif. Celui de sa femme, Juliette qui au moment du phénomène, était enceinte de 7 mois et que le serait resté éternellement si une audacieuse intervention chirurgicale ne l'avait fait accoucher d'un « prématuré » après cinquante ans de gestation. Sans oublier Marie, la servante, héroïne et victime de la conquête spatiale à l'age de 1080 ans. Mais on y apprend surtout l'extraordinaire aventure du père Léopold, qu'un changement d'ère en fit devenir un dieu (Popoff) pour finalement conclure sa brillante carrière en tant que martyr. Il fut brûlé vif comme sorcier, par une peuplade primitive. Comme vous vous en doutiez, les « Stas » ne vieillissent pas, ne mangent ni ne boivent. Ni fatigue, ni repos et toute leur vie se retrouve ainsi rythmé par le long défilé des siècles.
Cette incroyable longévité va leur permettre d'assister impassibles, aux progrès de l'humanité, son envolée vers les étoiles, la découverte d'autres mondes, d'autres civilisations. Hélas, toute médaille à son revers et l'ère de prospérité, laissera place à une ère de destruction et de chaos. Une guerre sans précédent éclate entre les terriens et les Adraniens au sujet de Melpoméne, une toute petite planète sans grande importance. Les conséquences n'en seront que plus effroyables, les armes de destruction sont d'une puissance incroyable et il en résultera une atomisation pure et simple de toute la surface du globe. L'humanité vient alors de disparaître en un battement de paupière. Seul survivant, Léopold va errer sur une planète pratiquement stérile, il sombre presque dans la folie jusqu'au jour ou, par le plus pur des hasard, il découvre, perdu au fin fond de l'Afghanistan, une peuplade qui l'accueillera comme un dieu.
Ainsi, comme annoncé dans les prophéties, un nouvel âge va débuter. Popoff, nouveau patronyme de l'illustre personnage, devient le messie, celui que tout le monde attendait, le sauveur de cet embryon d'humanité. Sage d'entre les sages, il rayonne par son aura, fera prospérer son peuple, contrôlant son évolution afin que le progrès ne viennent à nouveau corrompre cette civilisation renaissante. Au terme de 500 ans de paix et de prospérité, un conflit d'intérêt éclate avec une tribu belligérante. L'homme étant ce qu'il a toujours été, la haine et la convoitise ne pouvant s'effacer à jamais de nos misérables cervelles, le dernier des « Stas » sera fait prisonnier. Refusant de se soumettre à la volonté de ses gardiens, il clamera haut et fort son immortalité et son statut de dieu vivant. Coupant court à ce manque de modestie il sera condamné à brûler vif sur un bûcher : L'histoire n'est qu'un éternel recommencement.
Ainsi se termine ce « journal d'un dieu », découvert tout à fait par hasard par un groupe d'explorateurs, vingt huit siècles après les tristes événements relatés plus haut. Après cette stupéfiante lecture, les hommes du futur portèrent un regard tout à fait différent sur cet immortel qui fut en son temps considéré comme un dieu tout puissant, le créateur de cette civilisation renaissante. Un simple être humain, frappé d'une étrange malédiction, un simple petit bourgeois que rien ne prédestinait à cette existence hors du commun, mais qui parvint à force de sagesse et de bon sens, à se hisser à la hauteur de son exceptionnel destin. Il fut l'élément déterminant, la pièce maîtresse qui fit la liaison entre l'ère chrétienne et la sienne, celle de Popoff. Le mot de conclusion revient à une des archéologues, témoin embarrassé de cette improbable découverte :
« Grâce aux « Stas » et singulièrement à Popoff, nous savons maintenant en tout humilité que l'in n'invente rien. On recrée tout au plus. Le progrès hisse et hissera à chaque époque l'homme vers les sommets et une fois atteint, il contemple un instant avec orgueil le chemin parcouru. IL se délecte et... plouf ! C'est la chute vertical dans les ténèbres et la nuit. Jusqu'au suivant de ces messieurs. Le cycle recommence.... Les ères se suivent et se ressemblent »
Un Dieu immortel...ou presque!
Dans la préface de ce roman parfaitement délirant, l'auteur nous livre en outre une recette miracle afin de rédiger un livre dans les meilleures conditions possibles, tout en restant sur un ton humoristique. Il nous explique ensuite pourquoi il choisit pour son premier roman, un texte d'anticipation : Par frustration ! Il nous livre alors une analyse fort passionnante des auteurs de son époque qui certes, on un goût pour l'imaginaire, mais fortement entravé dans le carcan du « politiquement correct ». Tous ces auteurs sont pour lui trop sérieux, exaspérants même dans leurs retenues. Il leurs manquent ce soupçon de folie, ces montées de bouffées délirants qui font que le lecteur éprouve un plaisir coupable à se délecter de leur imagination débordante. Trouvant leur sérieux trop déprimant, il décide alors de prendre la plume.
Dans la lignée de Frédéric Brown, Robert Sheckley ou Roland C.Wagner, Caen nous livre un roman tragique, délirant, inventif et hilarant où le grotesque de certaines situations, nous offre des passages mémorables et savoureux de cocasseries. Un simple intro suffit à donner le ton de l'ouvrage : « Nous sommes effectivement en 229 après moi ». Sans oublier cette mémorable scène de bataille :
« La réplique fut rapide, le lendemain un engin Adranien e qualité et d'efficacité contestable, atterrissait un peu brusquement aux environs de Melbourne et atomisait l'Australie qui pour la circonstance disparaissait pudiquement et définitivement sous les flots. Après ces hors-d'œuvre prometteurs, ce fut le chaos,le cauchemar, le feu d'artifice dans toute sa splendeur. Les continents pétaient comme des châtaignes, la carte du monde changeait à chaque instant. Un coup bien placé fit de Brive-la-Gaillarde un port de mer, l'atlantique s'était engouffré dans une crevasse ouverte par une explosion atomique, entre le massif central et Arcachon. »
. J'en passe et des meilleures...Lisez « Les Stas », je vous assure vous ne le regretterez pas, c'est tout simplement extraordinaire. Dans la lignée des « Cinq sens » (Grasset 1927) de Joseph Delteil, que nous verrons très prochainement ou du roman de O. de Traynel « Élisabeth Faldras » où l'on trucide à tour de bras dans un délire le plus total, il est à croire que l'humour et l'imagination des auteurs trouve une forme de catharsis dans la thématique de la guerre totale et universelle.Un humour d'ailleurs que l'on retrouvera tout au long de l'œuvre monumentale de Albert Robida qui fut un précurseur en la matière et dont on ne clamera jamais assez le génie inventif doublé d'un satiriste souvent corrosif. Je dois avouer également un faible pour Cami dont la verve « anticipatrice » et complétement loufoque est un véritable plaisir pour celui qui se laisse emporter dans son tourbillon rocambolesque (« Les aventures de Krik robot », « Le scaphandrier de la tour Eiffel »...)
Saluons une fois encore, toute cette bande de joyeux drille dont le cabotinage et la verve sans pareille nous offrirent, hélas à trop petites doses, des œuvres d'une telle qualité inventive et humoristique.
Extrait de la préface
« Pourquoi ai-je choisi pour ces obscurs débuts, le roman d'anticipation ? Et bien voilà. C'est un complexe, le résultat d'un refoulement.
Si en temps qu'auteur, je ne suis qu'un apprenti ; je suis un lecteur acharné, convaincu et assidu. J'ai un appétit féroce. Je dévore quotidiennement, plus spécialement, nocturnement, car mes festins livresques ont lieu le soir et se prolongent tard dans la nuit ; je dévore donc facilement mes deux cent pages par vingt quatre heures. Mes menus sont variés. Je vais des amuses gueules, tels que romans policiers noirs ou blêmes, jusqu'aux somptueux plats de résistances que m'offrent les philosophes modernes ou anciens et les éternels classiques pour terminer les sucreries des auteurs comiques et libertins.
Dans tous ces genres, le trouve largement mes délices. Mais il est une spécialité qui me laisse sur ma faim. C'est justement la branche « anticipation ».
Naturellement, je ne veux englober dans cette critique ; les anciens anticipateurs (si l'on peut dire) devant lesquels je m'incline bien bas. Mais ces derniers, qu'ils se nomment : Verne ou Wells, ne font ou ne feront bientôt plus figure d'anticipateurs, tant ils surent lire avec justesse dans le marc de café de l'avenir.
Restent les modernes, les contemporains, les jeunes. Ils sont rares et qu'ils m'en excusent, je ne les trouve pas très dynamiques.
oilà des gens qui travaillent la pâte la plus malléable de la littérature, celle qui permet toutes les fantaisies,et ces messieurs pondent des œuvres,oh ! bien écrites, bien construites, mais sans lâcher la bride à leur imagination,sur un terrain, qui pourtant le permettrait.
Alors ne trouvant pas à ce rayon la chaussure à mon pied, j'ai tenté d'écrire un roman d'anticipation.
J'ai voulu, dans ma folle prétention en faire un Verne rabelésien, teinté d'un scepticisme désabusé à la Bergeret et rehaussé de quelques touches légères « d'Helzapoupinerie Pierredacquoise »
Les débutants de la littérature se signalent presque toujours par un premier ouvrage qui n'est souvent q'une autobiographie. Puis ayant vidé leur sac, s'étant racontés, parfois avec bonheur ;la source de leur inspiration se trouve tarie et les rejetons qu'ils engendrent péniblement ensuite, ne sont que de lamentables pantins sans vie et sans âme.
Je ne veux pas présager de l'avenir, quant à moi. Mais je puis affirmer qu'il n'y a dans ce roman, aucun personnage qui pourrait être, même de loin, mon « alter ego ». Et que suivant la formule consacrée : Toute ressemblance avec des gens vivants ou ayant vécus, ne peut-être que fortuite et involontaire.
Vous voici donc averti, mis en alerte, introduit dans les coulisses où naquit cette histoire.
Ami lecteur, à vous de me dire ce que vous en pensez. »
Sur L'auteur
Raymond Caen est né à paris en 1905.Il occupe dans la vie divers emplois tout comme un « writteman Américain : employé de commerce, représentant en cirage, en cartonnage puis en engrais ; journaliste sportif, bijoutier...Pendant la campagne 39/40, il se couvre de lauriers par de remarquables performances en course à pied. Parti comme caporal, il termine sa carrière militaire en qualité de soldat de 2éme classe. Nous savons très peu de choses sur cet écrivain, dont le style enjoué et cabotin est une pure merveille. Un domaine ou les références sont assez rares. Décédé prématurément en 1957, il écrivit un autre roman oscillant entre humour et anticipation : « Ma boule » Editions G.Vandevelde.1954.
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